KENYA-SOMALIE: Les enfants des camps de Dadaab ont soif d’apprendre

Summary: L’éducation est un luxe que ne peut se permettre la majeure partie des 90 739 enfants qui vivent dans le plus vaste et le plus vieux des camps de réfugiés au monde.

(DADAAB, 23 mars 2011) - Créés au début de la guerre civile en Somalie en 1991 pour accueillir 90 000 réfugiés, les trois camps qui composent le complexe – Hagadera, Ifo et Dagahaley –, situés près de la ville de Dadaab, dans le nord-est du Kenya, abritent aujourd’hui plus du triple de leur capacité. La persistance du conflit en Somalie, d’où proviennent 95 pour cent des réfugiés, entraîne par ailleurs une augmentation quotidienne de la population dans les camps.

Selon le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), le taux de fréquentation scolaire dans les camps est de 43 pour cent au primaire et de 12 pour cent seulement au secondaire. Les trois camps comptent au total 19 écoles primaires financées par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), 11 écoles primaires privées payantes et six écoles secondaires.

En 2010, quelque 2 500 enfants réfugiés se sont présentés à l’examen pour le certificat de fin d’études primaires du Kenya. À peine un cinquième d’entre eux ont obtenu une place dans une école secondaire. Les statistiques pour l’ensemble du pays sont beaucoup plus élevées : elles font état d’un taux de fréquentation de 82 pour cent pour le primaire et de 49 pour cent pour le secondaire. Selon l’UNICEF, la situation est encore plus alarmante en Somalie, où le taux de scolarisation est de 20 pour cent au primaire et de seulement 10 pour cent au secondaire.

À Dadaab, l’argent est le principal problème. Bien qu’elle soit considérée comme un droit humain fondamental et qu’elle fournisse aux enfants une protection psychologique, physique et cognitive dont ils ont grandement besoin en situation d’urgence, l’éducation est la branche de l’aide humanitaire qui reçoit le moins de financement. Selon un rapport publié récemment par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), seulement 2 pour cent de l’aide humanitaire totale est consacrée à l’éducation.

En 2010, le HCR a reçu seulement 20 pour cent des 30 millions de dollars nécessaire à l’éducation des enfants réfugiés. Selon l’UNICEF, environ 75 millions d’enfants dans le monde ne sont pas inscrits à l’école primaire. La moitié d’entre eux vivent dans des pays touchés par un conflit.

« La communauté internationale manque à ses engagements envers les réfugiés somaliens en ne priorisant pas l'accès à l'éducation », a dit à IRIN Elizabeth Campbell, de Refugees International (RI), une organisation non gouvernementale (ONG) qui milite pour les droits des réfugiés. « Les principales raisons sont le manque de financement et la pénurie d'enseignants qualifiés. Même si nous avions plus d'argent, le problème de capacité demeurerait un véritable défi ».

« En refusant d'allouer des terres supplémentaires à la construction de nouvelles structures, les autorités kényanes ont par ailleurs rendu difficile le développement de l'accès à l'éducation dans les camps de Dadaab ».

Selon un rapport réalisé par l'UNICEF en 2010, les écoles primaires des camps de Dadaab ne respectent pas les normes minimales pour une éducation de qualité. Chaque classe accueille en effet 80 élèves au lieu de 45 et les écoles comptent « peu d'enseignants kényans qualifiés. Il y a neuf enseignants formés et 800 non formés au primaire et 35 enseignants formés et 50 non formés au secondaire ».

Initiatives communautaires

Les trois écoles secondaires mises sur pied par les réfugiés ne parviennent que partiellement à combler les besoins en matière d'éducation. Leur activité est elle aussi limitée par les contraintes budgétaires.

« Il est très difficile de gérer une école secondaire avec un budget zéro. Nous sommes contraints de demander aux élèves de débourser un peu d'argent pour payer les enseignants et l'entretien », a dit à IRIN Mohamed Kasim, président et fondateur des écoles secondaires gérées par les réfugiés.

Le manque de matériel constitue un autre obstacle à une éducation de qualité. Les appareils de laboratoire et les équipements nécessaires aux classes pratiques de sciences font notamment défaut. « Je n'ai pas fait d'expérimentations en laboratoire depuis au moins trois ans. Je suis très inquiet pour l'examen pratique du KCSE [certificat de fin d'études secondaires du Kenya] », a dit Aweys, un élève de quatrième année du secondaire.

Hassan A. Saney, directeur de l'école secondaire de Towfiq, gérée par les réfugiés du camp d'Ifo, a dit qu'il demeurait malgré tout optimiste pour l'examen national auquel se soumettront bientôt pour la première fois les élèves de son école. « Il est prévu que nous recevions du matériel de laboratoire d'ici la mi-mars. Avec un peu de chance, les élèves auront eu l'occasion de faire des expériences avant l'examen final », a-t-il indiqué.

Les écoles mises sur pied par les réfugiés ont obtenu le soutien des ONG Windle Trust Kenya (WTK) et CARE sous la forme de dons de fournitures scolaires et d'ouvrages de référence. Le HCR a également fait venir des enseignants locaux qualifiés pour enseigner dans les écoles gérées par les réfugiés.

Selon l'ONG WTK, les sommes normalement réservées à la scolarité des élèves ont dû être données aux réfugiés qui enseignent dans ces écoles et consacrées aux examens de fin de parcours. Les élèves devront dès lors débourser 3 300 shillings kényans (38 dollars) pour l'inscription 2011, même si nombre d'entre eux n'en ont pas les moyens. « Nous sommes contraints de payer cet argent de notre poche, mais nous ne pouvons pas vraiment nous le permettre. Nous vendons le peu de nourriture que nous recevons du PAM [Programme alimentaire mondial], mais ce n'est pas suffisant », a dit Farhio, un élève de quatrième année à l'école secondaire de Towfiq.

Les enseignants insistent sur le fait que l'incapacité de payer les frais d'admission ne constitue pas un obstacle. « Nous n'expulsons jamais des étudiants doués parce qu'ils ne peuvent pas payer leur scolarité, mais la contribution de la communauté est d'une importance cruciale pour bâtir une meilleure société », a dit Abdullahi, un enseignant de l'école secondaire gérée par les réfugiés du camp de Dagahaley.

Un avenir sombre

À moins d'être transféré dans un pays tiers – ce qui est plutôt improbable –, ceux qui réussissent à compléter leurs études secondaires n'ont que peu d'opportunités d'emplois dans les camps. Mais comme l'indique Mme Campbell, de RI : « Je ne crois pas que ce soit une raison suffisante pour refuser à un enfant l'accès à l'éducation. Certains réfugiés diplômés se rendent en ville ou ailleurs dans la région et réussissent à démarrer des entreprises, à percevoir un revenu et à devenir autosuffisants ».

Les enseignants réfugiés perçoivent environ 70 dollars par mois. Si de nombreux réfugiés occupent des fonctions diverses au sein des organisations d'aide humanitaire œuvrant sur place, ils ne reçoivent généralement qu'une maigre « prime » plutôt qu'une véritable rémunération. Il semble qu'il faille blâmer la rigidité de la législation du travail kényane.

Le manque d'opportunités d'emplois est une préoccupation majeure. « Lorsqu'ils sont désœuvrés, les jeunes se tournent vers la drogue ou les activités criminelles, ce qui entraîne des problèmes d'insécurité. Si rien n'est fait, je crains que ces jeunes ne décident de rejoindre les milices qui combattent dans leur région d'origine », a dit Liban Rashid, porte-parole des jeunes du camp d'Ifo.

En 2009, Human Rights Watch (HRW) a indiqué que le gouvernement fédéral de transition somalien recrutait également dans les camps de Dadaab et que le gouvernement kényan était impliqué dans le processus même s'il nie y avoir participé.

pdf: http://www.irinnews.org/fr/reportfrench.aspx?reportid=92265

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