FRANCE : perpétuité confirmée en appel pour un mineur

[Le 12 octobre 2014] -

Riom : un nouveau procĂšs historique

Article publié sur le blog de Jean-Pierre Rosenczveig

Le verdict rendu le 10 octobre 2012 par la Cour d’appel d’assises de Riom dans le procùs de Matthieu violeur et meurtrier de la jeune Agnùs peut entrer dans l’histoire.

La réclusion criminelle à perpétuité prononcée à nouveau contre le jeune accusé est sous-tendue par la combinaison en sa défaveur de deux dispositifs juridiques.

En effet la Cour a commencĂ© par dĂ©cider qu’il n'y avait pas lieu de lui maintenir le bĂ©nĂ©fice de l’excuse de minoritĂ© accordĂ© par principe par la loi Ă  toute personne qui commet un crime ou un dĂ©lit alors qu’elle n’a pas encore atteint ses 18 ans. Ensuite la cour a estimĂ© qu’il n’y avait pas lieu de lui reconnaitre la moindre circonstance attĂ©nuante.

La premiere décision lui faisait encourir la réclusion criminelle à perpétuité comme un adulte ; la deuxiÚme permettait de prononcer le maximum de la peine encourue.

C’est donc la perpĂ©tuitĂ© qui a Ă©tĂ© prononcĂ©e comme cela aurait Ă©tĂ© le cas pour le pire des criminels majeurs.

C’est la deuxiĂšme fois dans l’histoire pĂ©nale française que, sur la base du droit pĂ©nal spĂ©cial des mineurs dont l’ordonnance du 2 fĂ©vrier 1945 reste le pilier, qu’une telle condamnation est prononcĂ©e.

Elle fut dĂ©jĂ  le cas Ă  l’encontre de Patrick Diels accusĂ© malgrĂ© ses dĂ©nĂ©gations en justice d’avoir tuĂ© deux enfants. On se souvient qu’aprĂšs deux condamnations par des cours d’assises, chacune anĂ©antie par la Cour de cassation, la troisiĂšme dĂ©cision, une fois que l’on eut permis la publicitĂ© des dĂ©bats et l’exposition au public des « preuves » contenues dans le dossier, Patrick Diels fut acquittĂ©.

Matthieu ne contestait pas sa culpabilitĂ©. Sa dĂ©fense avançait qu’il devait ĂȘtre jugĂ© comme un mineur puisqu’il n’avait pas 18 ans le jour des faits et que ses troubles psychiatriques devaient lui valoir la reconnaissance de circonstances attĂ©nuantes.

Les faits sont indĂ©niablement particuliĂšrement graves et choquants, - qui ira le contester ? - et ce d’autant plus que le jeune Matthieu s’était dĂ©jĂ  livrĂ© Ă  un viol. Au moment de sa mise en cause on s’était interrogĂ© sur les termes du suivi judiciaire, Ă©ducatif et psychiatrique, ordonnĂ©, mis en Ɠuvre, mais insuffisant Ă  prĂ©venir un nouveau passage Ă  l’acte. SpĂ©cialement une polĂ©mique s’était dĂ©veloppĂ©e sur les faits que les responsables de l’établissement scolaire n’auraient pas Ă©tĂ© informĂ©s des antĂ©cĂ©dents de ce jeune et des soins nĂ©cessaires, les parents avançant avoir donnĂ©s cette conformation. Une mĂ©diatisation majeure avait donnĂ© Ă  ces faits criminels une telle dimension que les pouvoirs publics s’en Ă©taient alors saisis n’hĂ©sitant pas Ă  changer certains termes de la loi obligeant notamment les magistrats plaçant un mineur sous contrĂŽle judiciaire aprĂšs des faits de viol Ă  en informer les responsables scolaires (art. 138-2 CPP) ou permettant le placement en CEF jusqu’au jugement.

La dĂ©cision de premiĂšre instance rendue dans ce qui fut appelĂ© l’affaire AgnĂšs n’avait pas pu s’extraire de cette pression mĂ©diatique. Force est de constater que tel ne faut pas le cas Ă  Riom dans le procĂšs en appel puisque les mĂ©dias furent tenus Ă  l’écart et que le verdict lui-mĂȘme, malgrĂ© son caractĂšre exceptionnel, et les faits eux-mĂȘmes Ă©tant estompĂ©s dans la mĂ©moire collective, n’a au plus suscitĂ© que quelques lignes dans la presse Ă©crite et un traitement trĂšs succinct sur les mĂ©dias audiovisuelles.

On conçoit, on comprend, on se doit de respecter ce que peuvent ressentir les proches  de ce drame, mais se doit Ă©galement de prendre un peu de recul pour interprĂ©ter la dĂ©cision et en analyser la portĂ©e sachant qu’elle n’est peut ĂȘtre pas dĂ©finitive dans la mesure oĂč un recours en cassation a Ă©tĂ© annoncĂ©.

En effet qui dit décision exceptionnelle oblige à en cerner les termes

Ce principe dit de l’attĂ©nuation de responsabilitĂ© pour les moins de 18 ans est l’un des piliers de notre droit pĂ©nal spĂ©cial de mineurs. Nos sociĂ©tĂ© distinguent les enfants des adultes en estimant – c’est une donnĂ©e scientifique - que le plein discernement ne s’acquiert pas Ă  la naissance. On estime gĂ©nĂ©ralement qu’à 18 ans tout individu est un adulte capable de dĂ©cide de son sorte et du sort des autres via le bulletin de vote et de rendre pleinement des comptes sur son comportement. 

Notre pays se targue de ne pas juger pénalement (1) les enfants comme les adultes, la personne de moins de 18 ans étant au regard du droit national et international comme un enfant

En d’autres termes en retirant Ă  l’audience le bĂ©nĂ©fice de l’excuse de minoritĂ© la peine encourue par l’accusĂ© passe immĂ©diatement de 20 ans Ă  la rĂ©clusion criminelle Ă  perpĂ©tuitĂ©. On conçoit l’enjeu. On imagine le contexte : on entre dans la salle en risquant 20 ans, sur un vote  de la cour et du jury on encourt la perpĂ©tuité !

Durant 10 ans ; de 2002 Ă  2012 les pouvoirs n’ont eu de cesse que d’abaisser la majoritĂ© pĂ©nale de 18 Ă  16 ans. Ils se sont heurtĂ©s au Conseil constitutionnel qui tient depuis 2002 l'attĂ©nuation de responsabilitĂ© pour les mineurs comme un principe constitutionnel et aux termes des engagements internationaux de la France.

Ils ont alors eu pour stratĂ©gie de vider de son contenu le statut des 16-18 ans en s'Ă©vertuant Ă  coups de reformes – notamment deux en mars et aoĂ»t 2007 – de faciliter le retrait de l’excuse de minoritĂ©. La loi est mĂȘme venue dire que ce retrait Ă©tait obligatoire pour le double rĂ©cidiviste sauf – il fallait passer sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel ! - aux juges Ă  en rĂ©tablir le bĂ©nĂ©fice par une dĂ©cision spĂ©ciale,  c’est-Ă -dire Ă  oser assumer la critique mĂ©diatique et politique si le jeune rĂ©itĂ©rait. On sait que ces dispositions sont allĂ©es de pair avec l’instauration de peines plancher, applicables aux mineurs, la passivitĂ© de saisir le tribunal pour enfants sans passer par un juge des enfants – le flagrant dĂ©lit pour les mineurs – et bien sĂ»r l’instauration du tribunal correctionnel pour mineurs.

Le 15 aoĂ»t 2014 de nouvelles dispositions sont entrĂ©es en vigueur sur le retrait de l’excuse de minoritĂ©. Le parlement a effacĂ© toutes les dispositions adoptĂ©es en 2007 pour en revenir Ă  celle en vigueur en 1994. Elles Ă©taient applicables Ă  Riom.

Article 20-2, modifié par la loi n°2014-896 du 15 août 2014
« Le tribunal pour enfants et la cour d'assises des mineurs ne peuvent prononcer à l'encontre des mineurs ùgés de plus de treize ans une peine privative de liberté supérieure à la moitié de la peine encourue. Si la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité, ils ne peuvent prononcer une peine supérieure à vingt ans de réclusion criminelle.
Toutefois, si le mineur est ĂągĂ© de plus de seize ans, le tribunal pour enfants et la cour d'assises des mineurs peuvent, Ă  titre exceptionnel et compte tenu des circonstances de l'espĂšce et de la personnalitĂ© du mineur ainsi que de sa situation, dĂ©cider qu'il n'y a pas lieu de faire application du premier alinĂ©a. Cette dĂ©cision ne peut ĂȘtre prise par le tribunal pour enfants que par une disposition spĂ©cialement motivĂ©e. (
)
Les dispositions de l'article 132-23 du code pĂ©nal relatives Ă  la pĂ©riode de sĂ»retĂ© ne sont pas applicables aux mineurs.  (
) » »

DĂšs lors que le jeune avait 16 ans au moment des faits – l’excuse de minoritĂ© est absolue avant – elle admet que l’on puisse la retirer sur des considĂ©rations liĂ©es aux faits et Ă  la personne. A 16 ans – l’ñge retenu est celui au jour de s faits – elle devient relative, mais la loi nouvelle rĂ©affirme que le retrait doit ĂȘtre exceptionnel, affirmation supprimĂ©e en 2007.

On restera choquĂ© que cette dĂ©cision puisse ĂȘtre rĂ©fĂ©rĂ©e fondamentalement aux faits, par dĂ©finition graves. Le dĂ©bat sur l’attĂ©nuation de responsabilitĂ© – ou alors les mots n’ont plus de sens --devrait ĂȘtre cantonnĂ©e avait ou non une psychĂ© d’enfant ou d’adulte. ! L’expĂ©rience dĂ©montre que ce sont bien parce qu’ils sont des enfants que des jeunes commettent certains faits gravissimes dont ils ne mesurent pas nĂ©cessairement la portĂ©e. C’est bien ici qu’on quitte le droit des enfants. Pour en revenir Ă  un droit des victimes.

Cette disposition Ă©voque les cĂ©lĂšbres propos, summum du cynisme ou de l’hypocrisie politique,  de l’ancien ministre de la justice Jean Lecanuet : « Je suis contre la peine de mort sauf pour les faits graves."

Reste que force est de constater qu’il demande de tenir compte des faits et de la personne, pas seulement des faits.

Le législateur a ouvert en 1992 une brÚche dangereuse, celui de 2014 reproduit cette erreur.

Mathieu avait-il la maturitĂ© d’un adulte au moment des faits ? Telle Ă©tait la question posĂ©e à  la Cour sachant qu’il avait objectivement 17 ans et 11 mois. Elle y a rĂ©pondu positivement.

La Convention internationale sur les droits de l’enfant, ratifiĂ©e par la France, dans ses articles 37 et 40 oblige les Etats Ă  se doter d’un droit spĂ©cifique pour les moins de 18 ans. Elle condamne la peine de mort, les traitements inhumains et dĂ©gradants, mais elle ne va pas jusqu’à interdire la prison Ă  vie, mais demande aux Etats de mettre en oeuvre des dispositifs de rĂ©vision.

Le droit français offre ce dispositif de rĂ©vision. En pratique il est mis en Ɠuvre. Il est rare que la peine prononcĂ©e soit executĂ©e en totalitĂ©, mais Ă  l'inverse une libĂ©ration anticipĂ©e n'est pas assurĂ©e. Certains en sont choquĂ©s, mais il faut rappeler – et les personnels pĂ©nitentiaires les premiers le disent – qu’un dĂ©tenu sans espoir peut ĂȘtre dangereux. Tout simplement le temps de dĂ©tention dans nos crĂ©dos affichĂ©s n’est paso qu’un  temps de privation de libertĂ©, mais aussi nĂ©cessiter des soins et on peut penser que ces soins peuvent ĂȘtre bĂ©nĂ©fiques. Tout simplement l’ñge attenue la dangerositĂ©.

Risquer la mĂȘme peine qu’un adulte ne signifie pas qu’elle doit ĂȘtre prononcĂ©e mĂȘme s’il est acquis que ceux qui demandaient le retrait de cette excuse avaient ce souci. On aurait pu affirmer que le jeune s’était comportĂ© comme un  adulte, sans pour autant le condamner au maximum.

Avec la prudence qui s’impose faute d’avoir accĂ©dĂ© au dossier et n’ayant pas assistĂ© aux dĂ©bats, on constatera – c’est le deuxiĂšme point technique - qu’aucune circonstance attĂ©nuante n’a Ă©tĂ© retenue qui aurait permis de prononcer une peine moindre. Ainsi les troubles de la personnalitĂ© avancĂ©s et patents n’ont pas Ă©tĂ© pris en compte sur ce terrain, mais on peut penser qu’ils l’ont Ă©tĂ© sur le volet de l’évaluation de la dangerositĂ©. C'est d'ailleurs ce qu' a confiĂ© le prĂ©sident de la cour d'assises de Riom (Le Monde du 12-13 octobre 2014) en justifiant le verdict par  la "dangerositĂ© majeure" du condamnĂ©

On retiendra que dans ce domaine, comme dans d’autres, nous avons un art incommensurable, Ă  travers nos textes, Ă  ne pas nous lier les mains par les principes que nous affichons. Hypocrisie diront certains, pragmatisme permettant de faire du sur-mesure. Nous posons le principe qu’un enfant ne doit pas ĂȘtre jugĂ© et condamnĂ© comme un adulte – et nous nous affichons que nous avons un droit pĂ©nal spĂ©cial – , mais nous avons des dispositions qui permettent de faire exception Ă  ce principe quand cela parait nĂ©cessaire. "Flexible droit" aurait dit le doyen Carbonnier.

Comme aux USA qu’on dĂ©nonce souvent sur ce point, la France permet dans son droit et concrĂštement conf ; la dĂ©cision de Riom, n’hĂ©site pas Ă  prononcer la rĂ©clusion criminelle Ă  perpĂ©tuitĂ© contre des mineurs.

On observera aussi que si nous savons reconnaitre trĂšs tĂŽt la pleine maturitĂ© intellectuelle Ă  un jeune au point d’ĂȘtre condamnĂ© Ă  16 ans comme un adulte nous ne lui reconnaissons toujours pas les droits des civils liĂ©s Ă  ces responsabilitĂ©s. Par exemple un mineur de 16 ans n’a pas le droit de saisir un juge pour demander Ă  ĂȘtre Ă©mancipĂ©. Il ne peut pas au vu  de la loi de 1091 crĂ©er une association. Etc.

En d’autres termes, des devoirs avant des droits. Comme nous l’avancions  dans notre rapport Ă  la ministre de la famille (2) il serait donc temps pour ĂȘtre en cohĂ©rence d’avancer la capacitĂ© civile du mineur en posant une prĂ©somption de discernement quand notamment ils saisissent la justice.

  1. Au plan civil il en va autrement. Il a Ă©tĂ© jugĂ© qu’un enfant de 4 ans qui avait crevĂ© l’Ɠil de son camarade de jeu engageait sa responsabilitĂ© civile personnelle  du fait des dommages causĂ©s parle bĂąton qu’il avait dans la main quitte Ă  ce que ses parents voient immĂ©diatement leur propre responsabilitĂ© civile engagĂ©e du fait de leur statut de parent
  2. « De nouveaux droits pour les enfants ? Oui, dans l’intĂ©rĂȘt des adultes et de la sociĂ©té », janvier 2013, rapporteurs Dominique Youf et Flore Capelier,  in www.rosenczveig. com

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Jean-Pierre Rosenczveig
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