Les chercheurs ont mis au jour le systĂšme qui permet aux mineurs dĂ©sargentĂ©s de sâinstaller malgrĂ© tout dans un campement et de passer au Royaume-Uni. « Les entretiens avec les jeunes filles Ă©thiopiennes, Ă©rythrĂ©ennes ou kurdes ont permis dâidentifier un Ă©change de services sexuels contre la promesse dâun passage outre-Manche ou en vue dâaccĂ©der Ă certains terrains », rapporte Olivier Peyroux, coauteur de lâenquĂȘte.
« A Norrent-Fontes ou Ă Steenvoorde, des hommes et quelques filles ont abordĂ© le sujet », insiste le sociologue. Câest le cas de Yohanna, citĂ©e comme une « jeune de 16 ans qui cache son Ăąge » parce quâelle craint de se retrouver placĂ©e dans un foyer pour mineurs loin de la cĂŽte. « On est trente sous les tentes, a-t-elle expliquĂ©. Quand on nâa plus dâargent, on sâarrange. »
Le travail des sociologues rĂ©vĂšle que des femmes sont conduites des « jungles » des Hauts-de-France Ă Paris pour se prostituer avant dâĂȘtre ramenĂ©es vers la cĂŽte et remplacĂ©es par dâautres la semaine suivante. Une vingtaine dâentre elles se prostitueraient aussi dans les bars de la « jungle » pour 5 euros la passe.
Pour les garçons, ultra-majoritaires, la situation nâest pas plus enviable. Dans les jungles oĂč lâon manque de tout, les corvĂ©es qui leur Ă©choient sont nombreuses. Aller chercher lâeau, attendre aux douches pour le compte dâune tierce personne, faire la lessive, jouer le guetteur sur les aires contrĂŽlĂ©es par les passeurs, faire monter les migrants dans les camions vers le Royaume-Uni⊠Les auteurs de lâenquĂȘte ont listĂ© au fil de leurs entretiens toutes ces tĂąches auxquelles certains sont contraints pour espĂ©rer, Ă leur tour, un passage.
Â
Les chercheurs notent que dâautres empruntent de lâargent pour payer le voyage, « ce qui fait craindre une exploitation Ă©conomique une fois quâils sont passĂ©s outre-Manche », rappelle Olivier Peyroux, qui a souvent entendu ces adolescents expliquer quâils travailleront pour rembourser. Câest le cas dâAkar, un jeune Kurde irakien qui doit 9 000 euros Ă son frĂšre coiffeur, qui vit au Royaume-Uni, ou de Zoran, kurde lui aussi, qui a une dette de 5 000 euros envers son pĂšre, restĂ© en Iran.
Â
Commanditaire de cette Ă©tude, le directeur de lâUnicef France, SĂ©bastien Lyon, sâalarme de cette situation et demande en urgence « la crĂ©ation de lieux de protection spĂ©cifiques pour mineurs, oĂč ils seraient accueillis de maniĂšre inconditionnelle. Parce quâil est grave que ces adolescents nâaient aucune idĂ©e de leurs droits en France », insiste-t-il.
Â
Ces lieux de « protection » ne peuvent selon lui quâĂȘtre installĂ©s sur place, sĂ©curisĂ©s et rĂ©ellement dĂ©diĂ©s aux mineurs non accompagnĂ©s du Pas-de-Calais, du Nord, de la Manche et mĂȘme au sein du futur campement humanitaire envisagĂ© Ă Paris.
Â
Les efforts faits par France terre dâasile, dont les maraudes ont permis de mettre Ă lâabri 1 403 jeunes en 2015, se sont soldĂ©s dans 84 % des cas par des fugues. Trop Ă©loignĂ©s de la « jungle » de Calais, les foyers ne rĂ©pondent pas aux besoins des adolescents. Et dans les autres dĂ©partements Ă©tudiĂ©s par les deux chercheurs, lâoffre est encore moindre.
Â
La France ne respecte donc pas la Convention des droits de lâenfant. Pas plus quâelle nâa rĂ©ellement donnĂ© suite au jugement du Conseil dâEtat du 23 novembre 2015, qui lui enjoignait « de procĂ©der au recensement des mineurs isolĂ©s en situation de dĂ©tresse et de se rapprocher du dĂ©partement du Pas-de-Calais en vue de leur placement ».
Â
Pas plus quâelle nâa entendu le dernier avis du DĂ©fenseur des droits, le 20 avril, demandant une mise Ă lâabri des mineurs sur le site. Autant de prises de parole qui rappellent que la simple prĂ©sence dâun enfant dans la « jungle » justifie sa protection et sa mise Ă lâabri.
Â
Mercredi 15 juin, les dix associations les plus prĂ©sentes sur les « jungles » ont signĂ© un communiquĂ© commun sâinquiĂ©tant que « lâEtat et le conseil dĂ©partemental du Pas-de-Calais ne semblent pas du tout avoir pris la mesure de la gravitĂ© et de lâurgence de la situation et ne peuvent abandonner ces enfants qui ont fui la guerre et lâhorreur ». Eux aussi demandent la mise en place de structures adaptĂ©es en urgence.
Â
Assurer un revenu Ă la famille
LâEtat a prĂ©fĂ©rĂ© mettre lâaccent sur la procĂ©dure de regroupement familial, autorisant quelques dizaines de mineurs dont la famille trĂšs proche vit outre-Manche Ă gagner lĂ©galement le Royaume-Uni. Plusieurs dizaines de dossiers sont ouverts, quelques jeunes ont rejoint leur famille, mais le processus est trĂšs lent et les sociologues sont convaincus que ces cas portĂ©s par la France ne feront pas avancer la cause de la majoritĂ© de jeunes Ă©chouĂ©s lĂ .
Â
Ils Ă©valuent leur nombre Ă 500 au moment oĂč ils ont enquĂȘtĂ©. Toutefois, compte tenu des passages outre-Manche, plus dâun millier dâadolescents sĂ©journent dans le nord de la France au cours dâune annĂ©e.
Â
Conçu comme un outil pour les pouvoirs publics, qui mĂ©connaissent ces jeunes migrants, le travail de lâUnicef sâintĂ©resse aussi Ă leur histoire. « Si je prends lâexemple des jeunes Afghans, les plus nombreux sur les sites â ils seraient entre 100 et 200 Ă Calais â, ils sont souvent envoyĂ©s par le pĂšre pour rejoindre au Royaume-Uni un oncle quâils connaissent Ă peine. Il sâagit de les mettre Ă lâabri de lâenrĂŽlement et dâassurer un revenu Ă la famille restĂ©e au pays », rappelle Olivier Peyroux.
Â
Les deux universitaires ont observĂ© que beaucoup dâentre eux nâarrivent pas Ă sortir de cette mission qui leur est confiĂ©e. Aussi vivent-ils les violences de Calais, aprĂšs celles quâils ont souvent dĂ©jĂ connues sur la route, comme une sorte de fatalitĂ©.
Â
LâenquĂȘte permet aussi de comprendre que Paris fonctionne comme une base arriĂšre oĂč ces migrants mineurs reviennent, soit pour repartir vers un autre port transmanche, soit pour aller vers le nord de lâEurope via lâAllemagne et le Danemark, soit simplement pour gagner de lâargent. Autant dâinformations que SĂ©bastien Lyon livre aujourdâhui aux autoritĂ©s en espĂ©rant quâelles contribuent Ă amĂ©liorer la prise en charge des mineurs isolĂ©s par la France.