FRANCE : L’Unicef dĂ©nonce l’exploitation des migrants mineurs dans les « jungles » françaises

[Le 16 juin 2016] - ViolĂ©s, contraints de se prostituer, de voler, d’accomplir des corvĂ©es quotidiennes dans les camps ou d’aider Ă  faire monter des migrants dans les camions
 Les mineurs non accompagnĂ©s qui campent Ă  Calais (Pas-de-Calais), Grande-Synthe (Nord) et dans cinq petites « jungles » voisines sont la proie des passeurs. Signataire de la Convention internationale des droits de l’enfant, la France leur doit pourtant assistance et protection.

Trois sociologues ont passĂ© quatre mois sur le littoral de la Manche et dans le Calaisis, explorant les campements jusqu’à Cherbourg (Manche). Ils y ont rĂ©alisĂ© des entretiens approfondis avec 61 jeunes venus seuls d’Afghanistan, d’Afrique subsaharienne, d’Egypte, de Syrie ou du Kurdistan.
 
CommandĂ© par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), leur travail permet de comprendre qui sont ces quelque cinq cents enfants et adolescents (dont douze ont moins de 14 ans et trois moins de 12 ans), comment ils sont arrivĂ©s et dans quelles conditions ils survivent.
 
Sur le littoral du nord de la France, la situation est extrĂȘmement difficile. « Pour trouver une place Ă  Norrent-Fontes [Pas-de-Calais] ou Ă  Steenvoorde dans le dĂ©partement du Nord [deux des petits campements plus “humains” que Calais], le “droit d’entrĂ©e” est de 500 euros », dit Alexandre Le ClĂšve, un des auteurs de l’enquĂȘte. A Calais, certains jeunes Afghans paieraient aussi 100 euros comme droit d’entrĂ©e pour obtenir une place et la protection d’un passeur.
 

Cinq euros la passe

Les chercheurs ont mis au jour le systĂšme qui permet aux mineurs dĂ©sargentĂ©s de s’installer malgrĂ© tout dans un campement et de passer au Royaume-Uni. « Les entretiens avec les jeunes filles Ă©thiopiennes, Ă©rythrĂ©ennes ou kurdes ont permis d’identifier un Ă©change de services sexuels contre la promesse d’un passage outre-Manche ou en vue d’accĂ©der Ă  certains terrains », rapporte Olivier Peyroux, coauteur de l’enquĂȘte.
 
« A Norrent-Fontes ou Ă  Steenvoorde, des hommes et quelques filles ont abordĂ© le sujet », insiste le sociologue. C’est le cas de Yohanna, citĂ©e comme une « jeune de 16 ans qui cache son Ăąge » parce qu’elle craint de se retrouver placĂ©e dans un foyer pour mineurs loin de la cĂŽte. « On est trente sous les tentes, a-t-elle expliquĂ©. Quand on n’a plus d’argent, on s’arrange. »
 
Le travail des sociologues rĂ©vĂšle que des femmes sont conduites des « jungles » des Hauts-de-France Ă  Paris pour se prostituer avant d’ĂȘtre ramenĂ©es vers la cĂŽte et remplacĂ©es par d’autres la semaine suivante. Une vingtaine d’entre elles se prostitueraient aussi dans les bars de la « jungle » pour 5 euros la passe.
 
Pour les garçons, ultra-majoritaires, la situation n’est pas plus enviable. Dans les jungles oĂč l’on manque de tout, les corvĂ©es qui leur Ă©choient sont nombreuses. Aller chercher l’eau, attendre aux douches pour le compte d’une tierce personne, faire la lessive, jouer le guetteur sur les aires contrĂŽlĂ©es par les passeurs, faire monter les migrants dans les camions vers le Royaume-Uni
 Les auteurs de l’enquĂȘte ont listĂ© au fil de leurs entretiens toutes ces tĂąches auxquelles certains sont contraints pour espĂ©rer, Ă  leur tour, un passage.
 
Les chercheurs notent que d’autres empruntent de l’argent pour payer le voyage, « ce qui fait craindre une exploitation Ă©conomique une fois qu’ils sont passĂ©s outre-Manche », rappelle Olivier Peyroux, qui a souvent entendu ces adolescents expliquer qu’ils travailleront pour rembourser. C’est le cas d’Akar, un jeune Kurde irakien qui doit 9 000 euros Ă  son frĂšre coiffeur, qui vit au Royaume-Uni, ou de Zoran, kurde lui aussi, qui a une dette de 5 000 euros envers son pĂšre, restĂ© en Iran.
 
Commanditaire de cette Ă©tude, le directeur de l’Unicef France, SĂ©bastien Lyon, s’alarme de cette situation et demande en urgence « la crĂ©ation de lieux de protection spĂ©cifiques pour mineurs, oĂč ils seraient accueillis de maniĂšre inconditionnelle. Parce qu’il est grave que ces adolescents n’aient aucune idĂ©e de leurs droits en France », insiste-t-il.
 
Ces lieux de « protection » ne peuvent selon lui qu’ĂȘtre installĂ©s sur place, sĂ©curisĂ©s et rĂ©ellement dĂ©diĂ©s aux mineurs non accompagnĂ©s du Pas-de-Calais, du Nord, de la Manche et mĂȘme au sein du futur campement humanitaire envisagĂ© Ă  Paris.
 
Les efforts faits par France terre d’asile, dont les maraudes ont permis de mettre Ă  l’abri 1 403 jeunes en 2015, se sont soldĂ©s dans 84 % des cas par des fugues. Trop Ă©loignĂ©s de la « jungle » de Calais, les foyers ne rĂ©pondent pas aux besoins des adolescents. Et dans les autres dĂ©partements Ă©tudiĂ©s par les deux chercheurs, l’offre est encore moindre.
 
La France ne respecte donc pas la Convention des droits de l’enfant. Pas plus qu’elle n’a rĂ©ellement donnĂ© suite au jugement du Conseil d’Etat du 23 novembre 2015, qui lui enjoignait « de procĂ©der au recensement des mineurs isolĂ©s en situation de dĂ©tresse et de se rapprocher du dĂ©partement du Pas-de-Calais en vue de leur placement ».
 
Pas plus qu’elle n’a entendu le dernier avis du DĂ©fenseur des droits, le 20 avril, demandant une mise Ă  l’abri des mineurs sur le site. Autant de prises de parole qui rappellent que la simple prĂ©sence d’un enfant dans la « jungle » justifie sa protection et sa mise Ă  l’abri.
 
Mercredi 15 juin, les dix associations les plus prĂ©sentes sur les « jungles » ont signĂ© un communiquĂ© commun s’inquiĂ©tant que « l’Etat et le conseil dĂ©partemental du Pas-de-Calais ne semblent pas du tout avoir pris la mesure de la gravitĂ© et de l’urgence de la situation et ne peuvent abandonner ces enfants qui ont fui la guerre et l’horreur ». Eux aussi demandent la mise en place de structures adaptĂ©es en urgence.
 

Assurer un revenu Ă  la famille

L’Etat a prĂ©fĂ©rĂ© mettre l’accent sur la procĂ©dure de regroupement familial, autorisant quelques dizaines de mineurs dont la famille trĂšs proche vit outre-Manche Ă  gagner lĂ©galement le Royaume-Uni. Plusieurs dizaines de dossiers sont ouverts, quelques jeunes ont rejoint leur famille, mais le processus est trĂšs lent et les sociologues sont convaincus que ces cas portĂ©s par la France ne feront pas avancer la cause de la majoritĂ© de jeunes Ă©chouĂ©s lĂ .
 
Ils Ă©valuent leur nombre Ă  500 au moment oĂč ils ont enquĂȘtĂ©. Toutefois, compte tenu des passages outre-Manche, plus d’un millier d’adolescents sĂ©journent dans le nord de la France au cours d’une annĂ©e.
 
Conçu comme un outil pour les pouvoirs publics, qui mĂ©connaissent ces jeunes migrants, le travail de l’Unicef s’intĂ©resse aussi Ă  leur histoire. « Si je prends l’exemple des jeunes Afghans, les plus nombreux sur les sites – ils seraient entre 100 et 200 Ă  Calais –, ils sont souvent envoyĂ©s par le pĂšre pour rejoindre au Royaume-Uni un oncle qu’ils connaissent Ă  peine. Il s’agit de les mettre Ă  l’abri de l’enrĂŽlement et d’assurer un revenu Ă  la famille restĂ©e au pays », rappelle Olivier Peyroux.
 
Les deux universitaires ont observĂ© que beaucoup d’entre eux n’arrivent pas Ă  sortir de cette mission qui leur est confiĂ©e. Aussi vivent-ils les violences de Calais, aprĂšs celles qu’ils ont souvent dĂ©jĂ  connues sur la route, comme une sorte de fatalitĂ©.
 
L’enquĂȘte permet aussi de comprendre que Paris fonctionne comme une base arriĂšre oĂč ces migrants mineurs reviennent, soit pour repartir vers un autre port transmanche, soit pour aller vers le nord de l’Europe via l’Allemagne et le Danemark, soit simplement pour gagner de l’argent. Autant d’informations que SĂ©bastien Lyon livre aujourd’hui aux autoritĂ©s en espĂ©rant qu’elles contribuent Ă  amĂ©liorer la prise en charge des mineurs isolĂ©s par la France.
 
 

 

Pays: 
Auteur: 
Maryline Baumard

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