Soumis par Louise le
[21 Septembre 2015] - En janvier 2014, leur Ă©quipĂ©e avait frappĂ© les esprits. Deux adolescents de 15 et 16 ans, partis de leur propre chef en Syrie, en douce. Les parents avaient alertĂ© la police et les mĂ©dias. Au bout dâun peu plus de deux semaines, A. et Y. Ă©taient revenus dâeux-mĂȘmes en France et avaient Ă©tĂ© mis en examen. Lâinstruction a Ă©tĂ© bouclĂ©e au printemps. Le 7 septembre, le parquet de Paris a rendu son rĂ©quisitoire dĂ©finitif, dont Le Monde a pu prendre connaissance. Il demande le renvoi de A. et Y. devant le tribunal pour enfants pour « participation Ă un groupement terroriste ».
Un procĂšs terroriste devant la juridiction rĂ©servĂ©e aux enfants est un cas rare, mais pas inĂ©dit, cela sâest vu dans des dossiers basques. Et un mineur devrait prochainement comparaĂźtre dans lâaffaire Forsane Alizza. Mais si les juges dâinstruction suivaient le parquet dans leur ordonnance de renvoi, ce serait en revanche la premiĂšre fois que le tribunal pour enfants jugerait des mineurs de retour de zone de combats pour « terrorisme ».
Le projet des deux amis, Ă©lĂšves en 2de, a mĂ»ri en quelques semaines, Ă lâautomne 2013. A. et Y. sâentraĂźnent lâun lâautre, dâabord sur la pratique religieuse, que A. a fait dĂ©couvrir Ă Y., puis sur la Syrie, pour laquelle ils se passionnent. Ils Ă©changent des liens vers des vidĂ©os dâexactions commises par le rĂ©gime de Bachar Al-Assad et de propagande djihadiste. Sur Facebook, ils entrent en contact avec un Français prĂ©sent en Syrie qui les guide dans leur voyage.
Ambiance « pourrie »
En Syrie, le choc est brutal. TrimballĂ©s Ă droite Ă gauche, dans des conditions de confort et de sĂ©curitĂ© prĂ©caires, ils choisissent de rentrer en France. Lors de leur garde Ă vue, les deux adolescents reconnaissent quâils nâimaginaient pas que « ce serait si dur », et ils dĂ©noncent lâambiance « pourrie » dans leur groupe de francophones.
Comme dans la plupart des dossiers de filiĂšres syriennes, lâinstruction sâest attachĂ©e Ă prouver une volontĂ© prĂ©alable de rejoindre un groupe djihadiste et Ă Ă©tablir les faits et gestes des mis en examen en Syrie. La position des deux garçons sur ces sujets a peu Ă©voluĂ©Â : A. assure ĂȘtre parti pour combattre le rĂ©gime, mais pas dans un groupe djihadiste, et Y. continue Ă Ă©voquer des motivations humanitaires. En revanche, ils reconnaissent sâĂȘtre retrouvĂ©s, une fois sur place, dans un groupe affiliĂ© au Jabhat Al-Nosra, la branche syrienne dâAl-Qaida.
Le rĂ©quisitoire dĂ©bute dâailleurs, avant mĂȘme dâexaminer les faits, sur un long propos « liminaire » historique destinĂ© Ă prouver la nature terroriste du Jabhat Al-Nosra et de lâEtat islamique en Irak et au Levant (EIIL) du « chaos gĂ©nĂ©rĂ© par la prĂ©sence amĂ©ricaine en Irak » en 2003 au divorce entre lâEIIL et Al-Qaida en 2013-2014.
Concernant lâactivitĂ© des deux garçons en Syrie, lâenquĂȘte repose Ă©galement sur leur propre tĂ©moignage. Ils affirment tous deux nâavoir ni participĂ© aux combats, ni mĂȘme Ă©tĂ© entraĂźnĂ©s. Tout juste ont-ils reconnu avoir participĂ© Ă des tours de garde, armĂ©s de Kalachnikov dont ils nâavaient jamais appris Ă se servir. Le parquet retient donc des « entraĂźnements et surveillances armĂ©es ».
Un parallÚle osé
Des enfants, recrutĂ©s dans un groupe de combat engagĂ© dans un conflit⊠Au fond, Y. et A. ne seraient-ils pas des « enfants-soldats » ? Entre autres engagements internationaux sur ce sujet, la France est Ă lâorigine des « Principes de Paris » de 2007. Il y est Ă©crit que les enfants-soldats « ne doivent jamais ĂȘtre arrĂȘtĂ©s, poursuivis ou sanctionnĂ©s ou menacĂ©s de poursuites ou de sanction ». Le texte nâest pas contraignant juridiquement, mais il correspond Ă lâesprit dâautres textes qui le sont, comme le protocole de 2003 ajoutĂ© Ă la Convention internationale des droits de lâenfant. Lâavocat de A., Me Matthieu Chirez, a soutenu cette thĂšse dans ses observations aux fins de non-lieu en juillet.
Le parquet Ă©vacue ce point rapidement. « Un terroriste ne saurait se prĂ©valoir de la qualitĂ© de combattant au sens du droit international », assure le rĂ©quisitoire en citant un arrĂȘt de 2011 rendu par la cour dâappel de Paris au sujet dâun adulte ayant rejoint les Talibans en zone pakistano-afghane. « Dans un considĂ©rant trĂšs clair, la cour exposait âquâil nâest pas possible dĂšs lors de considĂ©rer le pays [lâAfghanistan] comme Ă©tant en situation de guerre ou de conflitâ », ajoute encore le parquet, qui se lance ainsi dans un parallĂšle osĂ©. Les Syriens seront heureux dâapprendre que la justice française considĂšre quâils ne sont pas « en situation de guerre ou de conflit ».
Pour Me Chirez, le parquet est Ă cĂŽtĂ© de la plaque : « Il nâest en aucun cas question du statut de combattant au sens du droit international mais bien de mineurs embrigadĂ©s dans un groupe armĂ© dont ils ignoraient tout et au sein duquel, a fortiori, ils nâont jamais combattu. » Les dĂ©fenseurs des deux adolescents rĂ©clament toujours le non-lieu. « Mon client ne savait pas quâil allait rejoindre un groupe terroriste, martĂšle AgnĂšs DufĂ©tel-Cordier, avocate de Y. Il sâagit dâun mineur, pas dâun adulte. Il avait une vision tronquĂ©e de la situation. » Depuis leur retour, Y. et A. ont repris le chemin du lycĂ©e.
Les chiffres du djihadisme en France
Selon les chiffres les plus rĂ©cents fournis par le ministĂšre de lâintĂ©rieur et le parquet de Paris, dĂ©but septembre :
1 738 Français ou résidents français sont impliqués dans les filiÚres djihadistes syriennes.
133 sont morts en Syrie ou en Irak, dont 11 dans des attentats-suicides.
161 procédures judiciaires sont en cours, qui concernent 580 personnes.
211 personnes sont mises en examen, dont 126 placĂ©es en dĂ©tention provisoire. Une quinzaine de mis en examen sont mineurs ou lâĂ©taient lors des faits.
11 personnes ont déjà été jugées.
141 personnes ont fait lâobjet dâune mesure dâinterdiction de sortie du territoire.
3 000 signalements ont été effectués via le numéro vert antidjihad depuis sa création fin avril 2014.
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