FRANCE : Des adolescents portent plainte pour violences policiĂšres

[22 dĂ©cembre 2015] - DĂ©noncer des violences policiĂšres Ă  la justice Ă  15 ans est gĂ©nĂ©ralement impensable quand on vit dans un quartier populaire. Le juge, cet homme qui condamne et Ă©loigne quelques mois, parfois plus, un frĂšre, un voisin, est rarement considĂ©rĂ© comme un alliĂ©. Dix-huit garçons et filles du 12e arrondissement de Paris ont pourtant franchi le pas. Jeudi 17 dĂ©cembre, avec le soutien de leurs Ă©ducateurs, ces lycĂ©ens ont signalĂ© des faits de « violences volontaires aggravĂ©es », d’« agression sexuelle aggravĂ©e », de « discrimination » et d’« abus d’autorité » de la part de policiers au procureur de la RĂ©publique de Paris. Leur quotidien Ă©tait devenu invivable. La plainte est dĂ©posĂ©e contre X, mais dans toutes les tĂȘtes « X » a un nom : les « Tigres », comme se surnomment les policiers de la brigade de soutien de quartier (BSQ).

Partagez un sandwich avec ces jeunes du quartier Reuilly-Montgallet, un quartier dense mais pas franchement difficile coincĂ© entre la gare de Lyon et la place de la Nation, ils vous expliqueront : les contrĂŽles, c’est au minimum une fois par jour. Parfois plus. Certains dĂ©rapent. Les violences dont ils parlent ont eu lieu entre l’été 2013 et l’été 2015. Seules ont Ă©tĂ© retenues pour la plainte celles pour lesquelles des tĂ©moins pouvaient confirmer leurs dires. Une enquĂȘte prĂ©liminaire a Ă©tĂ© confiĂ©e Ă  l’inspection gĂ©nĂ©rale de la police nationale (IGPN), la police des polices. La police n’a pour le moment pas souhaitĂ© rĂ©agir.

Le premier Ă©vĂ©nement, reflet de tant d’autres, remonte Ă  l’été 2013, un soir de ramadan. Il est 20 heures, JĂ©rĂ©my rentre chez lui avec un copain. Deux policiers les arrĂȘtent et procĂšdent Ă  une « palpation de sĂ©curité ».

L’un, « musclé », « les cheveux noirs coiffĂ©s avec du gel » lui met « les doigts dans les fesses ». « ArrĂȘte de te contracter laisse-toi faire », lui ordonne-t-on. JĂ©rĂ©my aurait reçu un coup dans les cĂŽtes. A son ami aussi, on a mis un doigt dans les fesses.

« Atteinte à la dignité humaine »

Les « vĂ©rif », c’est une fois par jour, « les doigts dans les fesses », « au moins une fois par semaine », estime Yassine. Le dĂ©fenseur des droits n’a pourtant de cesse dans ses dĂ©cisions de « dĂ©plorer le caractĂšre systĂ©matique de la palpation de sĂ©curité », une « atteinte Ă  la dignitĂ© humaine » si rien ne laisse penser que la personne dissimule un objet. Dans tous les cas, elle « doit intervenir dans un local retirĂ© du commissariat », rappellent Mes Slim Ben Achour et FĂ©lix de Belloy, les avocats des adolescents. Et la prĂ©sence d’un mĂ©decin est « indispensable » pour toute fouille approfondie.

S’opposer Ă  un contrĂŽle des « Tigres » expose Ă  des reprĂ©sailles. Lors des vacances de NoĂ«l 2013, trois policiers contrĂŽlent Mamadou et ses amis qui traĂźnent sur un banc. Mamadou voudrait qu’ils laissent les filles en dehors de tout ça. « L’avocat » est jetĂ© Ă  terre. Le lendemain, les « Tigres » patrouillent en voiture. L’un d’eux aurait ouvert sa fenĂȘtre et agrippĂ© le garçon par le bras, le forçant « à marcher Ă  l’allure du vĂ©hicule ». « L’avocat » finit par se libĂ©rer. « RĂ©bellion ! », crient les agents, qui l’auraient alors plaquĂ© contre le mur et frappĂ© « au niveau des hanches ».

La vue de la police fait fuir les jeunes des quartiers. C’est un rĂ©flexe, qu’ils aient quelque chose Ă  se reprocher ou non. A Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), en 2005, Zyed et Bouna sont morts d’avoir couru. Un soir d’avril 2014, nouveau contrĂŽle, dalle Rozanoff, dans le 12e. L’un des agents fait signe Ă  Alassane et Mamadou d’approcher. Ils refusent, s’éloignent puis courent. Barrage. Plaquage contre le mur. « Pourquoi courez-vous ? », demandent les policiers. « La peur », rĂ©pondent les garçons.

Les cartes d’identitĂ© volent. « Ramassez, bande de chiens », ordonnent les « Tigres ». Les coups partent : Alassane est frappĂ© au visage, Mamadou Ă  l’épaule. Du gaz lacrymogĂšne fuse. L’épicier Ă  qui les garçons ont demandĂ© du lait pour calmer leurs brĂ»lures a vu les policiers repasser, hilares. « Alors, les singes, la prochaine fois, vous ne courrez pas ! »

Brûlures au gaz lacrymogÚne

« On pisse sur le ramadan », « espĂšce de Libanais de merde », « connards, sales Noirs ». A chaque contrĂŽle, les insultes pleuvent. Le conflit jeunes-policiers, dalle Rozanoff, dure depuis des annĂ©es. Les grands frĂšres disent avoir connu les mĂȘmes brimades. « Mais maintenant, ils s’en prennent aux petits, dĂšs 12 ans », dĂ©plore un presque trentenaire. De la musique Ă©coutĂ©e sur un tĂ©lĂ©phone, en fin d’aprĂšs-midi ? « Contravention pour tapage nocturne ». Une balade entre copains le long de la promenade plantĂ©e ? Une invitation ferme Ă  rentrer chez soi. Qu’ils osent rĂ©pondre avoir l’autorisation de leurs parents, c’est une clĂ© de bras. Les jeunes d’autres quartiers n’ont rien Ă  faire ici. S’ils ne comprennent pas, c’est la gazeuse.

Longtemps, les parents n’ont rien su. Quand le commissariat appelait, la police avait forcĂ©ment raison. A force d’ĂȘtre contrĂŽlĂ©, un garçon de 13 ans a Ă©tĂ© envoyĂ© un an au Mali par sa famille. A prĂ©sent que les langues se dĂ©lient, les adultes rĂ©agissent un peu plus. Le 5 janvier, une intervention au bas d’un immeuble a fait descendre une mĂšre. « Fermez-la, ou je vous embarque », s’est-elle entendu rĂ©pondre quand elle a demandĂ© leur matricule aux policiers, qui l’auraient « ensuite narguĂ©e » sans jamais le lui donner.

Les violences se dĂ©roulent aussi au commissariat. La mĂšre de ThĂ©o « constate rĂ©guliĂšrement des traces de coups et de brĂ»lures au gaz lacrymogĂšne sur le visage » de son quand elle l’y rĂ©cupĂšre, Ă©crivent les avocats. Le 22 avril, six jeunes s’enfuient de la dalle Ă  la vue des policiers.

L’un des six est rattrapĂ©, jetĂ© Ă  terre, gazĂ©. Au commissariat, il se retrouve seul dans une piĂšce. Un agent attend qu’il se dĂ©shabille. « Alors, t’as mal ? », lui demande-t-il Ă  la vue du visage rougi par le gaz. « Attends, je t’en mets de l’autre cĂŽtĂ©. » « Est-ce que vous allez dire ce que vous avez fait dans la salle de fouille ? », demande le garçon en sortant. « Si tu veux dĂ©poser plainte, il n’y a pas de problĂšme, il y aura du rĂ©pondant », lui a-t-on rĂ©torquĂ©.

Partage de l’espace public

Une mĂ©diation a Ă©tĂ© tentĂ©e par les Ă©ducateurs de l’association Soleil et le service de prĂ©vention de la police. La maire du 12e a ouvert les terrains de sport, dĂ©veloppĂ© la danse, les ateliers d’écriture : « Il est vrai que le partage de l’espace public entre gĂ©nĂ©rations est l’un de mes sujets quotidiens », reconnaĂźt Catherine Baratti-Elbaz. Mais il y a eu des reprĂ©sailles. « Les policiers n’aiment pas les balances », expliquent les jeunes. La situation empirant, l’ONG anglo-saxonne Open Society Justice Initiative les a encouragĂ©s Ă  porter plainte. Le duo d’avocats qui dĂ©fend le dossier n’en est pas Ă  son coup d’essai. En juin, ils ont obtenu, pour la premiĂšre fois, la condamnation de l’Etat pour faute lourde pour une sĂ©rie de contrĂŽles d’identitĂ© au faciĂšs ; une action, lĂ  encore, soutenue par Open Society.

C’est cette mĂȘme ONG qui avait financĂ© une Ă©tude menĂ©e Ă  Paris, en 2007 et 2008, sur les contrĂŽles discriminatoires. Les rĂ©sultats confirmaient ce que les associations dĂ©nonçaient depuis des annĂ©es : en France, lorsqu’on est noir ou d’origine arabe, on risque respectivement 6 et 7,8 fois plus de se faire contrĂŽler que lorsqu’on est blanc. L’étude disait aussi que les personnes habillĂ©es « jeunes » reprĂ©sentaient 10 % de la population Ă©tudiĂ©e, mais Ă©taient contrĂŽlĂ©es dans prĂšs de la moitiĂ© des cas. Brayan, Kevin, ThĂ©o et leurs amis, qui portent des vestes de sport et ont des parents bien souvent nĂ©s Ă  l’étranger, cumulent tous les handicaps.

 

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