Fin de la mendicité des enfants au Sénégal : Une responsabilité collective

Summary:
La dĂ©cision historique du gouvernement de faire appliquer effectivement les lois de la RĂ©publique sur la mendicitĂ© en gĂ©nĂ©ral et, par cette voie, de mettre fin Ă  l’exploitation fĂ©odale des enfants astreints quotidiennement Ă  la servitude par la mendicitĂ©, est Ă  saluer. Toute autre attitude n’est que pire complicitĂ© avec un systĂšme esclavagiste d’exploitation des enfants issus des milieux de la paysannerie pauvre de certaines rĂ©gions du SĂ©nĂ©gal et de pays limitrophe

Depuis le conseil interministĂ©riel du 24 aoĂ»t 2010, sanctionnĂ© par le passage Ă  l’acte dans l’application des lois de sauvegarde de notre dignitĂ© nationale et de protection des enfants les plus vulnĂ©rables de notre pays et de la sous-rĂ©gion, plusieurs rĂ©actions ont Ă©tĂ© enregistrĂ©es. Certaines de ces rĂ©actions vont malheureusement Ă  l’encontre du mouvement de l’histoire de notre pays et de l’Afrique en gĂ©nĂ©ral vers plus de libertĂ©s individuelles et collectives, plus de justice sociale et d’équitĂ©, plus de dĂ©mocratie, plus d’exigence de transparence et de gouvernance basĂ©e sur une relation dialectique entre droits et obligations.

Les partisans de l’immobilisme social et rĂ©actionnaire qui dĂ©nient aux enfants les plus exclus de notre sociĂ©tĂ© toute opportunitĂ© d’accĂšs Ă  une Ă©ducation basĂ©e sur des normes et standards minimum de qualitĂ©, de dignitĂ© et de sĂ©curitĂ© humaine, ont fait cause commune avec les oppresseurs d’enfants. Ceux qui brandissent les ‘vertus Ă©ducatrices de la mendicité’ se voilent avec de pseudo dĂ©terminants idĂ©ologiques de socialisation de l’enfant par l’apprentissage de l’ascĂ©tisme, de l’humilitĂ© et de l’endurance. Cela est en contradiction avec notre ambition collective de construire un SĂ©nĂ©gal et une Afrique oĂč chaque personne jouira pleinement de ses droits sociaux, politiques, culturels et Ă©conomiques.

La perspective de la modernitĂ© sociale que nous ouvrent nos modĂšles de reprĂ©sentation politique rĂ©publicaine et dĂ©mocratique, ne peut s’accommoder de rapports de dĂ©pendance chronique Ă  la mendicitĂ© pour une partie importante de nos populations. Nous devons rĂ©habiliter nos valeurs basĂ©es sur la mystique du travail et ainsi fonder des processus formels de solidaritĂ© et de protection sociale vis-Ă -vis des exclus de notre modĂšle actuel de dĂ©veloppement. Ceci devrait constituer la base Ă©thique de notre ‘marche vers le sommet’ de la reconstruction nationale.

Si nous voulons sortir de l’immobilisme et de la rĂ©gression sociale, nous ne devons nullement contester Ă  l’Etat sa rĂ©elle volontĂ© dĂ©sormais affichĂ©e d’assumer son rĂŽle de primo protecteur des enfants les plus vulnĂ©rables, en les libĂ©rant de la servitude de la mendicitĂ© et en leur restituant le droit Ă  une vie d’enfant, le droit Ă  une Ă©ducation religieuse digne, le droit Ă  un environnement protecteur.

Le SĂ©nĂ©gal n’est pas le seul pays oĂč l’islam est la religion de la grande majoritĂ© de la population. Pourquoi sommes-nous les champions de la mise des enfants en situation de mendicitĂ© oppressante ? Il est temps de regarder ce qui se passe dans les pays de la Umma islamique concernant l’environnement de l’enseignement coranique et la rĂ©glementation de la mendicitĂ© !

La vĂ©ritĂ© est que le marchĂ© de l’aumĂŽne est lucratif ! Il est trĂšs rentable avec des enjeux Ă©normes sur les plans financiers et matĂ©riels. Il est alimentĂ© par une offre informelle et ostentatoire. Ceux ou celles qui justifient la mendicitĂ©, oublient de considĂ©rer le martyre des enfants Ă  qui certains prĂ©tendus Ă©ducateurs obligent de rapporter quotidiennement une certaine somme d’argent sous peine d’ĂȘtre battus. Ce rapport de violence et d’instrumentalisation de l’enfant pour obtenir par la force de l’argent n’est prescrit par aucun livre saint.

Non et mille fois non ! Plus jamais ça !

Au nom de l’islam et de toutes les religions, nous ne devons plus accepter d’ĂȘtre des complices ou des pourvoyeurs d’intrants d’aumĂŽnes qui constituent un supplice pour les enfants. On peut apprendre le Coran sans mendier ! On peut adorer Dieu sans mendier, ni souffrir quotidiennement dans sa chair et ĂȘtre meurtri dans sa tĂȘte. Comment comprendre et accepter qu’en 2010, des milliers d’enfants soient, tous les jours, contraints de mendier et de rapporter par la force une certaine somme d’argent ?

Dans la face hideuse et dĂ©gradante de nos pratiques sociales reproduisant des rapports fĂ©odaux se trouve la mendicitĂ© qui a fini d’envahir, Ă  grande Ă©chelle, nos rues, pour devenir le siĂšge de toutes les dĂ©rives et exposition Ă  la pĂ©dophilie, aux violences et Ă  la maltraitance Ă  l’égard des enfants. Devant cette situation que nous entretenons tous les jours, en alimentant le marchĂ© de la mendicitĂ© et en contribuant Ă  satisfaire les appĂ©tits matĂ©rialistes et pĂ©cuniaires des ‘traitants’, il y a une obligation absolue pour l’Etat et une urgence Ă  agir en utilisant la force de la loi Ă  des fins de protection de l’enfant.

Il nous importe, ici et maintenant, de changer nos attitudes et comportements qui alimentent ce phénomÚne et de participer à la refondation de nos pratiques de solidarité active vis-à-vis des enfants exclus et marginalisés.

L’application effective des lois qui rĂ©glementent la mendicitĂ© et protĂšgent les enfants contre la traite, nous y oblige. Elle nous invite Ă  une discipline collective dans l’acte de donner l’aumĂŽne ou de nous acquitter de la ‘Zakat’. C’est l’occasion de donner plus de responsabilitĂ©s aux imams des mosquĂ©es de quartier, aux prĂȘtres et autres hommes de culte, aux chefs de quartier et de village dans ce processus de rĂ©solution de la mendicitĂ©, notamment celle des enfants. L’Etat devrait engager directement des concertations avec ces acteurs pour la mise en Ɠuvre des mesures d’accompagnement. Les maires et les prĂ©sidents de communautĂ©s rurales devraient ĂȘtre impliquĂ©s dans ce processus de concertation.

C’est le lieu de saluer l’attitude non politicienne du maire de Dakar, M. Khalifa Sall, qui a soutenu sans Ă©quivoque les mesures gouvernementales. Dans ce mĂȘme registre, il faut Ă©galement saluer la remarquable contribution de l’ex-Premier ministre, M. Idrissa Seck, publiĂ©e Ă  travers divers organes de la presse Ă©crite. D’autres ont choisi le silence ou la fuite en avant dans le procĂšs contre l’Etat, stigmatisant l’imprĂ©paration de la mesure, le manque de concertation, l’absence de mesures d’accompagnement, l’injonction des bailleurs de fonds et des pays occidentaux.

Pour l’histoire, nous devons dire que, depuis les annĂ©es 70, le SĂ©nĂ©gal tente de mettre fin Ă  la mendicitĂ© des enfants sans y parvenir concrĂštement. Parmi les initiatives majeures fondatrices de cette volontĂ© publique, on peut citer les mesures suivantes :

- la pĂ©nalisation en 1975 de la mendicitĂ© pratiquĂ©e sous certaines conditions (voir dispositions de l’article 245 du Code pĂ©nal)

- la tenue, en avril 1977, d’un Conseil national du Parti socialiste qui proposa aux pouvoirs publics de doter l’école coranique d’un statut juridique proche de l’enseignement privĂ© ;

- la tenue en juillet 1977 d’un conseil interministĂ©riel consacrĂ© Ă  la lutte contre la mendicitĂ© des enfants ;

- l’organisation par l’Institut islamique de Dakar d’un sĂ©minaire national sur la mendicitĂ© des enfants de certains daaras avec la participation de diverses associations islamiques, de maĂźtres coraniques de daaras de grande renommĂ©e et des reprĂ©sentants de certaines associations laĂŻques. Ce sĂ©minaire avait recommandĂ© entre autres :

a) - de prendre des sanctions Ă  l’encontre de maĂźtres coraniques qui incitent les talibĂ©s Ă  la mendicitĂ© ou au vagabondage ;

b) - d’intĂ©grer la formation professionnelle dans la formation des talibĂ©s pour mieux les prĂ©parer Ă  leurs responsabilitĂ©s futures ;

- l’instruction d’octobre 1978 du Premier ministre demandant au ministre de l’Action sociale de prendre toutes dispositions utiles pour : lutter contre la mendicitĂ© des talibĂ©s avec le concours de la police et de la justice, ouvrir des centres d’accueil pour les talibĂ©s mendiants, appuyer les daaras sur les plans alimentaire et sanitaire ;

- la crĂ©ation du Fonds d’aide Ă  l’enfance dĂ©shĂ©ritĂ©e et aux actions non conventionnelles. Entre 1983 et 1988, ce fonds a octroyĂ© une aide estimĂ©e Ă  92 millions 174 mille F Cfa Ă  1 386 Ă©coles coraniques (voir archives de la Direction de l’action sociale). L’Etat accompagna le projet alternatif Ă  la mendicitĂ© des enfants du Daara de Malika qui fut crĂ©Ă© en 1980 par un groupe de mĂšres de famille avec Ă  sa tĂȘte Mme Cathy KoatĂ©. Le Daara de Malika proposait un modĂšle d’éducation coranique, d’enseignement en arabe, français et wolof ainsi que l’initiation Ă  la formation qualifiante (horticulture, aviculture, menuiserie).

Les annĂ©es 90 ont Ă©tĂ© marquĂ©es par la mise en Ɠuvre de programmes pour la rĂ©habilitation des droits des talibĂ©s, ceci dans le cadre de la coopĂ©ration gouvernement du SĂ©nĂ©gal-Unicef. Ces programmes ont favorisĂ© la crĂ©ation d’un environnement de mobilisation communautaire de lutte contre la mendicitĂ© des talibĂ©s Ă  travers des comitĂ©s de soutien dans les quartiers de Dakar et banlieue, ThiĂšs, Saint-Louis, Kaolack, Diourbel et dans les zones pourvoyeuses de la migration des talibĂ©s des rĂ©gions de ThiĂšs, Saint-Louis, Matam, Kaolack, Kaffrine et Kolda.

Les principales stratĂ©gies mises en Ɠuvre consistaient Ă  :

- soutenir les daaras d’excellence ;

- développer des offres alternatives de daaras communautaires dans les principales zones pourvoyeuses de la migration des talibés, principalement dans les régions de Saint-Louis (département de Podor) et de ThiÚs (dans la sous-préfecture de Pout et certaines communautés rurales du département de Tivaouane) ;

- soutenir les daaras dans ces zones pourvoyeuses qui, malgrĂ© les contraintes Ă©conomiques et environnementales, n’ont pas migrĂ© vers les centres urbains ;

- soutenir les daaras en milieu urbain qui acceptent de mettre fin Ă  la mendicitĂ© des enfants et Ă  amĂ©liorer les conditions d’apprentissage et de formation des talibĂ©s (certains de ces daaras ont bĂ©nĂ©ficiĂ© de subventions pour des projets d’aide au retour dans leurs villages d’origine).

L’information et la communication ont jouĂ© un rĂŽle dĂ©terminant dans le dĂ©veloppement de l’ensemble de ces processus et surtout dans la prise de conscience quant Ă  la nĂ©cessitĂ© d’agir pour mettre fin Ă  la mendicitĂ© et Ă  la maltraitance des enfants. Des productions documentaires audio visuelles sur ces problĂ©matiques, rĂ©alisĂ©es avec l’appui de l’Unicef, par Babacar Diagne (actuel Dg de la Rts), Diadji TourĂ© et Jacqueline Fatima Bocoum (des journalistes), ont permis de dĂ©clencher le mouvement de rupture du silence sur la misĂšre et les souffrances de ces enfants martyrs. Ce mouvement sera amplifiĂ© Ă  travers diverses contributions de cinĂ©astes, de musiciens, d’artistes comĂ©diens, de sportifs et par l’activisme (au sens positif du terme) des Ongs et des associations de jeunes et de femmes.

La premiĂšre dĂ©cennie des annĂ©es 2000 consacre : la montĂ©e en puissance de la volontĂ© politique exprimĂ©e au plus haut niveau de l’Etat avec la tenue en octobre 2006 du Conseil prĂ©sidentiel sur les enfants de la rue ; la diversification de l’offre en terme de projets et de programmes de coopĂ©ration ; la crĂ©ation du Partenariat pour le retrait et la rĂ©insertion des enfants de la rue (Parrer) qui constitue la plate forme la plus inclusive en matiĂšre de dĂ©marche synergique dans le domaine de la protection de l’enfant (Etat, Ongs, sociĂ©tĂ© civile, secteur privĂ©, reprĂ©sentants de guides religieux et de leaders de communautĂ©s traditionnelles, partenaires au dĂ©veloppement) ; l’établissement du dialogue avec les chefs religieux et leaders de communautĂ©s traditionnelles (visites du Parrer aux khalifes gĂ©nĂ©raux et autres guides religieux, au Grand Serigne de Dakar) ; l’approfondissement de la base de connaissance sur les phĂ©nomĂšnes des enfants mendiants et des enfants de la rue ; le dĂ©veloppement de l’information et de la communication sur ces phĂ©nomĂšnes ; le renforcement du dispositif de protection juridique des enfants contre la traite avec l’adoption de la loi 02/2005 relative Ă  la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilĂ©es et Ă  la protection des victimes, dont le chapitre I porte sur la traite et l’exploitation de la mendicitĂ© d’autrui.

MalgrĂ© toutes ces initiatives, force est de constater que la mendicitĂ© des enfants n’a pas reculĂ©. Elle a, au contraire, changĂ© de nature en se muant en phĂ©nomĂšne de traite d’enfants. L’Etat a une obligation absolue de protĂ©ger et de retirer ces enfants des divers circuits de la mendicitĂ©, en faisant appliquer les lois de la RĂ©publique. Si l’Etat perd cette capacitĂ©, il perd ce qui fait sa vertu qui rĂ©side dans le droit. Un Etat inefficace est dangereux et porte atteinte Ă  la dĂ©fense des groupes les plus faibles de la population. Il faut arrĂȘter l’éternel recommencement, de Senghor Ă  Wade, dans la non rĂ©solution du problĂšme des enfants mendiants. L’espoir suscitĂ© par l’application des mesures du conseil interministĂ©riel est en train de s’évanouir. En effet, l’incitation des enfants Ă  mendier continue dans plusieurs villes et dans certains quartiers de Dakar.

Monsieur le prĂ©sident de la RĂ©publique, Monsieur le Premier ministre, Monsieur le Ministre de la Justice, pour l’honneur de la RĂ©publique, ne reculez pas ! Il faut appliquer la loi dans toute sa rigueur et utiliser tous les fonds des programmes et projets en cours d’exĂ©cution pour le financement des mesures d’accompagnement et pour prĂ©venir le phĂ©nomĂšne de la mendicitĂ© des enfants. Dans cette optique, il faudra rĂ©affecter les financements publics et autres de la coopĂ©ration internationale (consacrĂ©s aux sĂ©minaires sans fin et autres activitĂ©s Ă  faible rendement) Ă  la rĂ©novation des services publics de protection de l’enfant, l’appui direct aux daaras qui offrent des services de qualitĂ©, le transfert de ressources financiĂšres aux familles vulnĂ©rables des zones pourvoyeuses de la migration des enfants pour servitude de mendicitĂ©.

Depuis Senghor, l’expĂ©rience montre que la rĂ©solution du problĂšme des enfants mendiants ne peut se faire sans le passage Ă  l’application effective des lois. C’est un prĂ©alable absolu. Cette application ne doit point se concevoir comme une opĂ©ration cosmĂ©tique pour dĂ©sencombrer nos rues ou de rĂ©ponse aux injonctions tout Ă  fait justifiĂ©es de nos partenaires au regard de la gravitĂ© de la situation des enfants mendiants. C’est une question de droits pour des enfants citoyens du SĂ©nĂ©gal et de l’Afrique.

pdf: http://www.walf.sn/contributions/suite.php?rub=8&id_art=68112

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