EUROPE: « Les gouvernements doivent s’attaquer sĂ©rieusement aux discriminations institutionnelles et personnelles contre les Roms »

De nouveaux engagements Ă  lutter contre l’antitsiganisme ont Ă©tĂ© pris Ă  l’occasion de la JournĂ©e internationale des Roms. Au mĂȘme moment, nous apprenions qu’un groupe d’enfants roms arrĂȘtĂ©s Ă  Kosice, dans l’est de la Slovaquie, ont Ă©tĂ© forcĂ©s Ă  se dĂ©shabiller et Ă  se gifler violemment les uns les autres dans le commissariat de police oĂč ils avaient Ă©tĂ© emmenĂ©s. A Belgrade, des familles roms ont Ă©tĂ© expulsĂ©es subitement de leur domicile sans se voir proposer de solution de relogement. A Mitrovica j’ai rendu visite Ă  des Roms qui continuent de vivre dans des camps oĂč la contamination par le plomb menace leur santĂ©.

AprĂšs la rĂ©vĂ©lation par les mĂ©dias des brutalitĂ©s policiĂšres sadiques commises (filmĂ©es, et le film distribuĂ© plus tard aux mĂ©dias) en Slovaquie, les policiers impliquĂ©s ont Ă©tĂ© mis Ă  pied. Pourtant, des questions demeurent. S’agit-il d’un incident unique ou d’agissements rĂ©pĂ©tĂ©s ? Les policiers savaient-ils qu’ils Ă©taient dans l’illĂ©galitĂ© absolue ? Ont-ils seulement eu peur des consĂ©quences de leurs actes (l’un d’eux ayant filmĂ© la scĂšne) ? Y a-t-il de graves lacunes dans la formation des policiers ou les ordres qu’ils reçoivent, auquel cas il faut chercher les responsabilitĂ©s plus haut ?

Les autoritĂ©s slovaques vont certainement examiner ces questions et prendre des mesures mais il restera probablement toujours le sentiment qu’une telle humiliation n’aurait pas Ă©tĂ© infligĂ©e Ă  ces enfants s’ils n’avaient pas Ă©tĂ© roms. C’est en tout cas ainsi que le ressentira la communautĂ© rom.

L’Agence des droits fondamentaux de l’Union europĂ©enne a collectĂ© des informations sur la maniĂšre dont les Roms et d’autres minoritĂ©s se perçoivent dans la sociĂ©tĂ©. A ce jour, elle a publiĂ© les deux premiĂšres parties de cette enquĂȘte sur les minoritĂ©s et la discrimination dans les pays membres de l’Union, Ă  savoir une prĂ©sentation gĂ©nĂ©rale de l’enquĂȘte et un rapport plus dĂ©taillĂ© sur les Roms, groupe le plus exposĂ© Ă  la discrimination.

En qui concerne plus spĂ©cifiquement les Roms, l’enquĂȘte porte sur sept Etats membres : la Bulgarie, la GrĂšce, la Hongrie, la Pologne, la RĂ©publique tchĂšque, la Roumanie et la Slovaquie. Dans chacun d’eux, pas moins de 500 Roms ont Ă©tĂ© interrogĂ©s. Leurs rĂ©ponses confirment nettement les impressions que j’ai retirĂ©es de mes missions dans plusieurs de ces pays et dans d’autres pays europĂ©ens appartenant ou non Ă  l’Union europĂ©enne :

* La moitiĂ© des personnes interrogĂ©es dit avoir Ă©tĂ© victime de discrimination au moins une fois au cours des 12 derniers mois et beaucoup dĂ©clarent qu’il y a eu plusieurs incidents de cette nature au cours de la pĂ©riode (11 en moyenne)

* Une Ă©crasante majoritĂ© de ces personnes n’ont pas signalĂ© ces incidents car elles n’attendaient aucun rĂ©sultat positif d’une telle dĂ©marche. La plupart ne connaissaient aucune organisation ou institution Ă  laquelle adresser ce type de plainte

* Une personne interrogĂ©e sur quatre dĂ©clare avoir Ă©tĂ© victime d’une infraction contre la personne humaine au moins une fois au cours des 12 derniers mois et une sur cinq dit avoir Ă©tĂ© victime d’une infraction de mĂȘme type Ă  caractĂšre raciste (agression, menace et harcĂšlement)

* Une majoritĂ© nette de personnes – 65 Ă  100 % selon les pays – n’ont pas signalĂ© ces infractions Ă  la police qu’elles ne pensaient pas capable de faire quoi que ce soit

* Une personne sur trois a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e par la police au cours des 12 derniers mois et la moitiĂ© mettent cette arrestation sur le compte de leur appartenance Ă  la communautĂ© rom. Beaucoup de personnes arrĂȘtĂ©es l’ont Ă©tĂ© plusieurs fois (4 en moyenne)

* L’enquĂȘte confirme les problĂšmes de scolarisation – 30 pour cent des personnes interrogĂ©es sont allĂ©es Ă  l’école pendant seulement cinq ans ou moins. De plus, le taux d’emploi est gĂ©nĂ©ralement faible (de 17 pourcent en Roumanie Ă  44 pour cent en RĂ©publique tchĂšque).

Le rapport de l’Agence des droits fondamentaux indique que la longue histoire de la discrimination est Ă  l’origine non seulement de la pauvretĂ© mais aussi de la marginalisation et de l’exclusion des Roms. Il semble que les instances crĂ©Ă©es pour recueillir les plaintes de violation des droits de l’homme ne soient ni connues, ni considĂ©rĂ©es comme accessibles ou utiles par de nombreux Roms. Les cas de harcĂšlement et les infractions racistes n’étant gĂ©nĂ©ralement pas signalĂ©s, les donnĂ©es officielles ne rendent pas compte, mĂȘme aujourd’hui, de l’ampleur de la discrimination.

L’exclusion est l’une des principales causes de la migration des Roms en Europe. Une Ă©tude rĂ©cente commandĂ©e par le Haut-Commissaire de l’OSCE pour les minoritĂ©s nationales et mon bureau met en Ă©vidence les pratiques discriminatoires auxquelles les migrants roms font face actuellement. A la fin de cette Ă©tude, les auteurs recommandent aux Etats un certain nombre de mesures.2

Les principaux indicateurs en matiĂšre d’éducation, de santĂ©, d’emploi, de logement et de participation politique montrent que les Roms – qu’ils soient citoyens du pays dans lequel ils vivent, dĂ©placĂ©s ou migrants – sont plus dĂ©favorisĂ©s que tout autre groupe en Europe.

Cela n’a pas Ă©chappĂ© Ă  une douzaine d’Etats, y compris balkaniques, qui coopĂšrent dans le cadre d’un projet commun intitulĂ© « DĂ©cennie pour l’intĂ©gration des Roms (2005-2015) » afin de rĂ©gler les problĂšmes de pauvretĂ© et d’amĂ©liorer le statut socio-Ă©conomique des Roms. EspĂ©rons que cette volontĂ© politique contribuera Ă  briser le cercle vicieux.

Il faut cependant reconnaĂźtre que la situation ne change pas vite. Nous nous sommes rendu compte qu’il n’existe pas de rĂ©forme ou de mesure pouvant entraĂźner Ă  elle seule une amĂ©lioration rapide. Par exemple, il est essentiel d’investir dans l’éducation des enfants roms, dĂšs la maternelle, mais les rĂ©sultats d’un tel effort dĂ©pendent aussi d’autres amĂ©liorations relatives, par exemple, Ă  la santĂ© et aux conditions de logement. D’oĂč la nĂ©cessitĂ© d’un programme complet, participatif et axĂ© sur le long terme.

La prioritĂ© absolue est la lutte contre l’antitsiganisme. Les attitudes nĂ©gatives qui perdurent dans la population majoritaire sont un problĂšme tenace. Si l’on n’en vient pas Ă  bout, tous les programmes sont vouĂ©s Ă  l’échec.

Je pense qu’il serait utile d’établir des commissions vĂ©ritĂ© sur les persĂ©cutions des Roms dans le passĂ© pour lutter contre l’ignorance. Le Conseil de l’Europe a publiĂ© des fiches d’information sans Ă©quivalent sur l’histoire des Roms en Europe, grĂące auxquelles chacun peut prendre connaissance des consĂ©quences effroyables de l’antitsiganisme dans l’histoire – extermination Ă  l’époque du fascisme et du nazisme et autres atrocitĂ©s commises pendant plusieurs gĂ©nĂ©rations.3

La transmission d’informations et de connaissances objectives sur l’histoire et la culture roms Ă  l’école est encore insuffisante. Comme le Gouvernement italien qui vient d’en dĂ©cider ainsi, ses homologues pourraient s’inspirer des fiches d’information du Conseil de l’Europe pour mettre au point des matĂ©riels pĂ©dagogiques.

Par ailleurs, il faut en finir avec l’incitation Ă  la haine. Les principaux responsables politiques et autres leaders d’opinion doivent absolument s’abstenir de tout discours anti-rom et, au contraire, dĂ©fendre les principes de non-discrimination, de tolĂ©rance et de respect envers les personnes d’origines diffĂ©rentes. Il est arrivĂ© qu’on me demande de rĂ©agir contre des dĂ©clarations d’hommes politiques faisant appel Ă  des clichĂ©s en Roumanie et en Italie par exemple, et j’ai remarquĂ© que ces dĂ©clarations deviennent plus rares.

Cela Ă©tant, les hommes politiques s’expriment aussi par des dĂ©cisions concrĂštes et des maires ou autres responsables locaux prennent encore parfois des mesures qui portent atteinte aux droits fondamentaux des communautĂ©s roms. Ainsi, rĂ©cemment, les habitants d’un camp rom de Belgrade ont Ă©tĂ© chassĂ©s des lieux au mĂ©pris des procĂ©dures d’expulsion.

Ils ne s’y attendaient pas car on leur avait promis qu’ils pourraient rester plus longtemps. De plus, aucune solution de relogement convenable ne leur a Ă©tĂ© proposĂ©e. Pour comble de malheur, ceux qui ont Ă©tĂ© relogĂ©s temporairement dans des conteneurs ont Ă©tĂ© attaquĂ©s par les habitants du quartier. Le gouvernement a regrettĂ© ces erreurs qui, bien que n’ayant pas Ă©tĂ© planifiĂ©es, montrent le manque de sĂ©rieux des autoritĂ©s locales dans la prise en charge de ces populations et le peu de cas qu’elles font des droits de l’homme. Cela aurait-il pu arriver Ă  des non-Roms ?

Dans le nord de Mitrovica, au Kosovo,4 j’ai visitĂ© il y a peu un camp rom, ashkali et Ă©gyptien installĂ© dans une zone gravement contaminĂ©e par le plomb. On sait depuis plusieurs annĂ©es qu’il est dangereux de vivre lĂ , surtout pour les enfants et les femmes enceintes. Une Ă©quipe mĂ©dicale de l’Organisation mondiale de la santĂ© en a apportĂ© la preuve dĂšs 2004. Aujourd’hui, cinq ans plus tard, beaucoup de Roms vivent encore sur ce site toxique.

MĂȘme si la situation politique dans le nord de Mitrovica est compliquĂ©e, il est purement et simplement inacceptable que les habitants de ce camp n’aient pas reçu d’aide pour dĂ©mĂ©nager. C’est d’autant plus embarrassant que la communautĂ© internationale est au moins en partie responsable de cet Ă©chec. Les habitants auxquels j’ai parlĂ© sont persuadĂ©s que leur situation serait rĂ©glĂ©e depuis longtemps s’ils appartenaient Ă  un autre groupe ethnique. Je ne peux, hĂ©las, que partager leur conviction.

Informations supplémentaires

pdf: http://www.coe.int/t/commissioner/viewpoints/default_FR.asp?

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