«Ils sont introuvables», se dĂ©sespĂšre la grand-mĂšre de Mohamed Luwasi, en parlant du garçonnet et de son accompagnatrice, partis en mai 2014 aux Etats-Unis, oĂč lâenfant devait subir une opĂ©ration chirurgicale destinĂ©e Ă corriger une malformation handicapante de sa colonne vertĂ©brale et financĂ©e par une association caritative chrĂ©tienne amĂ©ricaine, African Children Charities (ACC).
ACC, qui a payĂ© le voyage et lâopĂ©ration aprĂšs avoir lu un reportage sur le cas de Mohamed, sâest arrogĂ© la garde de lâenfant, le considĂ©rant comme orphelin sur la base de documents apparemment faux. Et envisage, selon Dickson Ogwang, de lâambassade dâOuganda Ă Washington, de le faire adopter aux Etats-Unis.
«Jâai signĂ© des papiers sans savoir lire»
Mais outre une grand-mĂšre, Mohamed a aussi un pĂšre, Isha Ssemata, qui veut revoir son fils. «Je ne veux pas que quelquâun adopte mon enfant», explique ce menuisier de 29 ans.
Lâaffaire est un exemple parmi de nombreux autres dâadoptions internationales entachĂ©es de soupçons, en raison dâincomprĂ©hensions, de nĂ©gligences ou, pire, de mobiles criminels.
AprĂšs la mort de sa femme, le pĂšre de Mohamed Luwasi, incapable de sâoccuper de son fils handicapĂ© lâa confiĂ© Ă sa grand-mĂšre. TrĂšs pauvre, celle-ci a cru saisir une chance inespĂ©rĂ©e quand lâassociation lui a proposĂ© de prendre Ă sa charge le traitement de son petit-fils.
«Jâai signĂ© des papiers sans savoir lire, car je savais quâils allaient aider mon garçon Ă aller aux Etats-Unis pour ĂȘtre soigné», explique la grand-mĂšre, qui craint dĂ©sormais comme son pĂšre de ne jamais le revoir.
En Ouganda, comme dans de nombreux pays africains, le concept occidental dâadoption «plĂ©niĂšre» - totale et dĂ©finitive - est inconnu. Et il est courant de confier ses enfants Ă des familles aisĂ©es pouvant pourvoir Ă leurs besoins, les envoyer en pension ou les placer en apprentissage.
Vide juridique
En mai, le Parlement ougandais sâest insurgĂ© contre les «circonstances douteuses» dans lesquelles des «centaines dâenfants» quittaient chaque annĂ©e le pays, alors que 80% de ces soi-disant orphelins ont des proches en vie et malgrĂ© lâexistence dâun programme dâadoption au niveau national.
Selon les parlementaires, le nombre dâorphelins ougandais ayant rejoint les Etats-Unis a augmentĂ© de 400% entre 2006 et 2013. Plusieurs responsables ougandais ont estimĂ© que le cas de Mohamed Luwasi Ă©tait Ă la «limite du trafic» dâenfant.
Un rapport gouvernemental sur la corruption et les tromperies présumées gangrenant les adoptions internationales est attendu sous peu et les autorités ont annoncé leur intention de combler le vide juridique.
Le prĂ©sident dâACC, Vikki Kattman dĂ©ment tout trafic concernant Mohamed Luwasi - quâelle appelle «Lewis» - et assure nâavoir pas lâintention de le faire adopter.
«Nous allons lĂ©galement renvoyer Lewis en Ouganda, au moment approprié», a affirmĂ© Mme Kattman, tout en refusant de donner un calendrier, alors que lâenfant a subi avec succĂšs lâopĂ©ration prĂ©vue il y a plus dâun an.
«Mensonges»
Lâassociation accuse lâaccompagnatrice, une proche de la famille de lâenfant, dâavoir falsifiĂ© des documents pour faire croire que lâenfant Ă©tait orphelin. Celle-ci affirme en retour quâACC a cherchĂ© Ă faire adopter le garçon aux Etats-Unis.
La prĂ©sidente dâACC assure aussi opĂ©rer lĂ©galement en Ouganda, ce que rĂ©fute Moses Binoga, chef de la force antitrafic du pays, affirmant que lâONG nây est pas enregistrĂ©e. Il renvoie aussi dos-Ă -dos «les mensonges» de lâaccompagnatrice et lâattitude «suspecte» de lâassociation.
James Kabogozza, directeur adjoint de la jeunesse et de lâenfance au ministĂšre ougandais de lâĂgalitĂ© des sexes, estime que lâadoption internationale est devenue un marchĂ©, avec ses «avocats, ses orphelinats et ses agences dâadoption», tous en tirant profit. Lâadoption dans le pays devrait toujours ĂȘtre lâoption privilĂ©giĂ©e, estime-t-il.
«Les AmĂ©ricains qui adoptent (des enfants) en Ouganda sont dĂ©sormais complices de corruption et de pratiques immorales», accuse un membre dâune association de dĂ©fense des enfants ayant souhaitĂ© garder lâanonymat. «Ils prĂ©fĂšrent croire aveuglĂ©ment leur agence dâadoption, plutĂŽt que dâĂ©couter ce quâil se passe en rĂ©alitĂ©: corruption et trafic dâenfants.»