Enfants volĂ©s du franquisme : la justice demande une enquĂȘte

Summary: BĂ©atrice MOLLE

C’est une photo jaunie : une mĂšre et son enfant dans les bras. Des instants qu’une loi inique sous le franquisme a rendus brefs. A quelques jours, quelques mois, cet enfant sera enlevĂ© Ă  tout jamais Ă  sa mĂšre. Une mĂšre dont le seul tort Ă©tait d’ĂȘtre une “rouge” sous le rĂ©gime franquiste. Avant-hier, le parquet de l’Audience nationale a demandĂ© au ministĂšre de la Justice d’aider les enfants volĂ©s sous le franquisme en vertu d’une politique dĂ©libĂ©rĂ©e du rĂ©gime Ă  enquĂȘter sur leur propre histoire.

Un bureau chargĂ© de mener ces enquĂȘtes pourrait ĂȘtre ouvert, mais le procureur estime les faits prescrits. Et rappelle que la loi sur la mĂ©moire historique votĂ©e en 2007 ne prĂ©voyait pas d’enquĂȘte sur les enfants volĂ©s sous le franquisme.

Retour en arriĂšre sur un travail de mĂ©moire qui n’en est qu’à ses balbutiements : un dĂ©cret datant de 1941 permettait au rĂ©gime franquiste de placer les enfants sous sa garde “si leur Ă©ducation morale Ă©tait en danger.”

Dossier repris par Garzon

Fin 2008, le juge Garzon avait dĂ©noncĂ© des soustractions systĂ©-matiques prĂ©sumĂ©es d’enfants de prisonniĂšres rĂ©publicaines, s’étonnant qu’un sujet aussi grave n’ait Ă©tĂ© l’objet d’aucune enquĂȘte en plus de 60 ans. Une pratique dont certains pensent que, si elle fut Ă  visĂ©e politique dans les annĂ©es quarante et cinquante pour les enfants des mĂšres rĂ©publicaines emprison-nĂ©es, elle devint plus tard, dans les annĂ©es soixante, mercantile, au profit de riches familles de l’oligarchie espagnole.

La nĂ©cessitĂ© d’enquĂȘter sur ces vols d’enfants avait Ă©tĂ© soulignĂ©e par le juge Baltazar Garzon, lorsqu'il avait ouvert une instruction sur les dizaines de milliers de disparus de la guerre civile et du franquisme. C’est d’ailleurs pour avoir ouvert cette instruction qu’il a Ă©tĂ© suspendu de ses fonctions en mai, en attendant d’ĂȘtre jugĂ© pour abus de pouvoir.

“Beaucoup de ces enfants furent retirĂ©s Ă  leur mĂšre et jamais remis Ă  leur famille d’origine”, avait dĂ©clarĂ© le juge, avançant un possible “systĂšme de disparitions d’enfants de mĂšres rĂ©publicaines pratiquĂ©es entre 1937 et 1950, Ă  des fins politiques d’épuration.” Les chiffres officiels Ă©voquent jusqu’à 30 000 enfants qui, entre les annĂ©es quarante et cinquante ont Ă©tĂ© placĂ©s de force sous la tutelle du rĂ©gime franquiste. Le plus souvent dans des institutions religieuses.

Prescription

La demande du juge Garzon n’a jamais abouti, la justice espagnole estimant que par rapport Ă  la loi sur la mĂ©moire historique ces faits sont prescrits. Pour le juge Garzon, ces faits devraient entrer dans la catĂ©gorie de crimes contre l’humanitĂ©, donc imprescriptibles. Certains historiens expliquent que le rĂ©gime franquiste organisa le vol systĂ©matique d’enfants “comme mĂ©thode de rĂ©gĂ©nĂ©ration de la race”, aiguillĂ© par les thĂ©ories du psychiatre et commandant Antonio Vallejo Najera qui prĂ©tendait “purifier les fils de rouges dĂ©voyĂ©s.” Franco permit Ă  partir de 1941, par le dĂ©cret-loi Ă©voquĂ© en dĂ©but d’article, le vol d’enfants et leurs changements de nom, rendant alĂ©atoires, voire impossibles les recherches effectuĂ©es par leurs parents biologiques. Aujourd’hui, plus de 300 cas d’enfants disparus sont entre les mains de l’Audience nationale. C’est l’Association pour la rĂ©cupĂ©ration de la mĂ©moire historique qui porte ces cas devant la justice, jugeant inacceptable le fait que l’Audience nationale refuse d’ouvrir une enquĂȘte judiciaire sur “le vol et la vente d’enfants sous le franquisme et durant la pĂ©riode de transition.” Car en plus des vols d’enfants de militants rĂ©publicains durant les annĂ©es quarante et 50, l’association rapporte des centaines de cas d’enfants volĂ©s dans des cliniques espagnoles, dont la clinique O’Donnell de Madrid, alors que leurs parents avaient Ă©tĂ© informĂ©s de leur supposĂ© dĂ©cĂšs. Ces enfants Ă©taient ensuite placĂ©s dans d’autres familles proches du rĂ©gime, avec leur identitĂ© falsifiĂ©e, selon l’avis mĂȘme du procureur. Et cela en toute impunitĂ©.

Des centaines de témoignages

Julia Manzanal, 95 ans, garde dans une boĂźte une mĂšche des cheveux de sa fille. Sa fille que l’on dĂ©clara morte, alors qu’elle Ă©tait emprisonnĂ©e Ă  Amorebieta. Des mĂšres sont mortes sans savoir. D’autres se sont fait faire Ă  leurs frais des tests d’ADN, au cas oĂč, sentant leur fin imminente, sans avoir eu la rĂ©ponse Ă  cette terrible question : “Mon enfant est-il mort ou me l’a-t-on volĂ© ?” Aujourd’hui, les frĂšres et sƓurs prennent le relais : “Notre cas date de 1945. Ma mĂšre Agustina qui est dĂ©cĂ©dĂ©e en 2009 distribuait le lait dans une maternitĂ© de la rue de Serrano Ă  Madrid. C’était une femme de gauche, elle accoucha dans cette clinique oĂč on lui affirma que son enfant Ă©tait mort-nĂ©, sans qu’elle ne puisse jamais le voir. Elle n’a jamais cru Ă  cette mort, elle a entendu son fils crier. Elle est morte sans savoir”, explique sa famille. Et de poursuivre : “Souvent ces enfants Ă©taient vendus Ă  de riches familles, c’était un systĂšme perfectionnĂ© avec des directeurs d’hĂŽpitaux, des mĂ©decins complices et des religieux. Tout ce systĂšme Ă©tait protĂ©gĂ© par le franquisme. Aujourd’hui nous rĂ©clamons justice.”

pdf: http://www.lejpb.com/paperezkoa/20101210/237108/fr/Enfants-voles-du-fran...

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