Délinquance juvénile : jeunes Britanniques sous surveillance

Et voilà qu'il s'en prend aux foetus maintenant ! raille la presse tabloïd. Tony Blair a préconisé il y a quelques jours d'aider les adolescentes enceintes pour que leurs futurs enfants ne deviennent pas "une menace pour la société". Le comble de la prévention, en somme. Il avait à l'esprit celles qui ont grandi dans des familles rongées par l'alcoolisme ou la drogue. Pendant leur grossesse, ajoutait le premier ministre britannique sur un ton légèrement orwellien, ces jeunes femmes à problèmes pourraient être contraintes d'accepter l'appui et les conseils de l'Etat.


Malmené par les sondages, prié par beaucoup de quitter le pouvoir au plus vite, Tony Blair relance l'une de ses croisades favorites : contre "les comportements antisociaux" et les incivilités, notamment chez les jeunes ; pour le maintien ou la restauration du "respect" entre Britanniques de toutes générations. Il prononcera sur ce thème, mardi 5 septembre, un discours attendu, en prélude à la publication prochaine d'un nouveau plan gouvernemental.

Comme beaucoup de grands pays modernes, à forte population urbaine, la Grande-Bretagne est malade de l'incivilité. Malgré la belle croissance et le faible chômage dont elle bénéficie depuis une dizaine d'années. En dépit aussi des gros efforts budgétaires accomplis par les travaillistes en faveur de l'éducation et de la lutte contre l'exclusion. Les politiques menées jusqu'ici ont au mieux stabilisé le phénomène, et l'incivilité, constatent les élus, reste un grand sujet d'inquiétude.

On enregistre certains jours, dans le royaume, jusqu'à 66 000 comportements antisociaux, de gravités diverses. Un toutes les deux secondes. On n'en finirait pas d'inventorier ces agissements par lesquels une minorité - ceux qu'on appelle ici "les voisins de l'enfer" - empoisonne la vie d'un quartier, altère le sentiment de sécurité du plus grand nombre et détériore le climat social.

Ce fléau prend des formes triviales : crachats, graffitis, insultes, dépôts d'ordures, ivresse sur la voie publique, tapage, mendicité agressive. Ou beaucoup plus graves : "happy slapping" (le fait de gifler ou de rouer de coups un passant), vandalisme, vols avec agression, consommation ou trafic de drogue. En Angleterre et au Pays de Galles, 200 000 mineurs ont affaire chaque année à la justice. Un sur deux finit devant un tribunal.

Face à l'incivilité des jeunes, le gouvernement Blair dispose d'une arme privilégiée, inventée en 1999, l'"ordonnance de comportement antisocial". Elle est passée dans le langage courant sous son acronyme "Asbo" (Anti Social Behaviour Order). Les asbos sont des procès-verbaux délivrés par un juge, à la demande de la police, de la mairie, ou des syndics de logements sociaux, à la suite d'une plainte et d'une enquête. De nature civile, les asbos n'ont aucune portée pénale et ne sont pas inscrites sur le casier judiciaire des personnes visées. Ces PV permettent de limiter les mouvements ou les activités d'individus, voire de familles entières, auteurs de comportements "de nature à effrayer, harceler ou affliger" l'entourage ou le voisinage.

D'une durée minimale de deux ans, ils devaient cibler en priorité les adultes. Il n'en fut rien. Sur plus de 6 000 asbos imposés depuis 1999 en Angleterre et au Pays de Galles, la moitié a frappé des mineurs.

Les asbos sont difficiles à faire respecter. Ils sont d'ailleurs violés dans plus de 40 % des cas. Enfreindre un asbo peut, en principe, conduire en prison. En pratique, seuls 7 % des jeunes ayant transgressé leur PV sont incarcérés. Mais, parmi ceux-là, 93 % sont ensuite de nouveau détenus pour d'autres délits.

L'asbo est une mesure très souple qui permet de sanctionner des nuisances et des délits de tous ordres. Tel jeune est interdit de séjour dans les cités où il sévissait. Tel autre ne peut plus se rendre seul dans le centre-ville où il avait l'habitude de chaparder. Certains sont éloignés d'un parking ou d'une gare. D'autres encore n'ont plus le droit de jurer en public ou de cracher par terre. A Manchester, un gamin a été astreint à renoncer pendant cinq ans à porter des sweat-shirts à capuche : ils dissimulaient son visage aux caméras de surveillance alors qu'il terrorisait son quartier avec une hache.

Les asbos ne sont pas une panacée. Ils peuvent même avoir un effet pervers lorsque les noms de leurs "titulaires" sont publiés dans la presse locale ou dans des tracts distribués au public. Pour certains mineurs prédélinquants, récolter un asbo est alors une source de fierté. Le transgresser sans être pris devient ensuite un jeu. Aux yeux de nombreux travailleurs sociaux, les asbos ont le tort de clouer au pilori des individus en absolvant la collectivité. Ils les jugent au mieux inefficaces, au pire injustes : trop doux contre les "durs" et trop sévères contre les jeunes qui ne font que flirter avec la délinquance.

Plus généralement, les méthodes travaillistes de lutte contre la petite criminalité s'attirent deux sortes de reproches. A droite, on fustige l'interventionnisme gouvernemental, son côté Big Brother, et sa prétention à "nationaliser" la famille. A gauche, parmi les associations, ou chez les adversaires du trop répressif, on dénonce le double risque de stigmatiser les parents et de diaboliser les enfants.

A propos des adolescentes enceintes, phénomène très fréquent en Grande-Bretagne, on brocarde le "déterminisme génétique" de M. Blair. "Il faut cesser de blâmer constamment les familles", s'insurge Mary MacLeod, directrice de l'Institut national de conseil aux parents.

Président du Youth Justice Board, un organisme officiel, le professeur Rod Morgan regrettait récemment que la "criminalisation des jeunes" soit devenue une "obsession nationale". L'imprécision même du terme "comportement antisocial" conduit à amalgamer de véritables délits et des actes qui relevaient naguère de la simple réprimande mais qui exposent aujourd'hui leurs auteurs à un système judiciaire susceptible de les happer.

La prévention va de pair avec la répression. Tony Blair le sait bien, lui qui, dès 1997, promettait "d'être sévère face au crime, et sévère face aux causes de la criminalité". Exemple : avant de recevoir un asbo, un jeune peut être invité à signer un "contrat de comportement acceptable". Parmi les mesures à l'étude, figure la généralisation des "ordonnances parentales" qui contraignent les familles à demander de l'aide lorsqu'elles affrontent de trop gros problèmes de discipline. Ou l'organisation de sessions obligatoires de "conseils aux parents" pour les plus désemparés. Car en Grande-Bretagne comme ailleurs, l'Etat, "gendarme" ou "nounou", ne pourra jamais se substituer à l'autorité familiale défaillante.

pdf: http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-809235,0.html

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