CONSEIL DE L'EUROPE: SĂ©minaire sur la coopĂ©ration transfrontaliĂšre pour lutter contre l’abus sexuel des enfants

Summary: Discours de Maud de Boer-Buquicchio, Secrétaire Générale adjointe du Conseil de l'Europe

[Bruxelles, le 28 novembre 2007] - La chasse Ă  l’homme qui avait dĂ©butĂ© dans un laboratoire de la police allemande et s’est terminĂ©e rĂ©cemment dans une province thaĂŻlandaise par l’arrestation du pĂ©dophile canadien Christopher Neil, montre bien que la coopĂ©ration internationale est essentielle dans la lutte contre l’abus sexuel des enfants.

Mais cet exemple ne doit pas nous faire oublier que les rĂ©ussites dans ce domaine sont encore trop rares. Beaucoup, beaucoup trop, de pĂ©dophiles parviennent Ă  Ă©chapper Ă  la police et continuent Ă  abuser d’enfants. Si nous voulons que cela change, nous devons Ă©tendre et intensifier la forme de coopĂ©ration internationale ayant conduit Ă  l’arrestation de Christopher Neil. A cet Ă©gard, les traitĂ©s internationaux sont trĂšs importants. En effet, ils ne permettent pas seulement d’établir des procĂ©dures et des mĂ©canismes de coopĂ©ration, mais aussi d’harmoniser les dispositions juridiques et administratives sur lesquelles cette coopĂ©ration est fondĂ©e.

Plus les divergences sont marquĂ©es sur des questions comme la criminalisation des infractions, plus il est difficile aux forces de l’ordre et aux autres organismes gouvernementaux de travailler ensemble, et plus les pĂ©dophiles ont de chances de rester impunis.

Pour nous qui travaillons au Conseil de l'Europe, ce sĂ©minaire est une occasion de prĂ©senter les instruments juridiques que nous avons dĂ©jĂ  Ă©laborĂ©s pour lutter contre l’abus sexuel des enfants, mais aussi de voir ce que d’autres – au niveau national ou ici Ă  Bruxelles – peuvent faire pour renforcer et prolonger notre action.

Je parlerai uniquement de trois conventions rĂ©centes : la Convention sur la cybercriminalitĂ©, la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des ĂȘtres humains et la Convention du Conseil de l'Europe pour la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, qui est la plus rĂ©cente, puisqu’elle a Ă©tĂ© ouverte Ă  la signature il y a un mois seulement. Les deux premiĂšres traitent de questions plus larges, mais chacune comporte des dispositions trĂšs spĂ©cifiques relatives aux enfants. Ces trois conventions se renforcent mutuellement et, prises ensemble, forment un arsenal juridique cohĂ©rent destinĂ© Ă  protĂ©ger les enfants contre les violences et les abus sexuels.

Dans l’ordre chronologique, la premiĂšre est la Convention sur la cybercriminalitĂ©, qui date de 2001. Nous savons tous qu’une trĂšs forte proportion des infractions impliquant des violences ou des abus sexuels Ă  l’encontre d’enfants sont commises, ou rendues possibles, par le biais des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Interpol dispose d’une base de donnĂ©es qui contient des images de plus de 20 000 enfants victimes d’abus sexuels, et cela pourrait bien ne reprĂ©senter que la partie visible de l’iceberg.

La Convention sur la cybercriminalitĂ© Ă©rige en infraction pĂ©nale divers aspects de la production, de la possession et de la diffusion de pornographie enfantine par le biais d’un systĂšme informatique. Dans la plupart des pays, la production et la diffusion de pornographie enfantine par les moyens traditionnels tombent dĂ©jĂ  sous le coup du droit pĂ©nal, mais, compte tenu du recours toujours croissant Ă  Internet pour faire circuler ces images, il a Ă©tĂ© jugĂ© indispensable de rĂ©unir des dispositions spĂ©cifiques dans un instrument juridique international pour combattre cette nouvelle forme d’exploitation sexuelle et de mise en danger des enfants sur Internet.

En outre, la Convention sur la cybercriminalitĂ© impose aux Etats d’établir des rĂ©seaux qui fonctionnent 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, pour faciliter la coopĂ©ration lors de la traque de « cybercriminels ».

A ce jour, la Convention a été signée par 43 pays européens et non européens et ratifiée par 21 pays, dont les Etats-Unis. De plus, le Costa Rica, le Mexique et les Philippines ont demandé à y adhérer.

La Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des ĂȘtres humains date de 2005. L’ampleur de la traite des ĂȘtres humains en Europe a longtemps Ă©tĂ© sous-estimĂ©e. Des rĂ©ponses nationales et une coopĂ©ration internationale sporadique avec une portĂ©e gĂ©ographique limitĂ©e ne permettent pas de lutter efficacement contre cette forme d’esclavage moderne.

Aux Pays-Bas, la police a arrĂȘtĂ© rĂ©cemment plusieurs membres d’une organisation criminelle qui, apparemment, se livrait Ă  la traite d’enfants d’origine nigĂ©riane Ă  des fins d’exploitation sexuelle dans plusieurs pays europĂ©ens. L’opĂ©ration avait commencĂ© par une enquĂȘte sur la disparition de quelque 140 enfants nigĂ©rians (surtout des filles) qui Ă©taient hĂ©bergĂ©s dans des centres pour demandeurs d’asile aux Pays-Bas. Certains des enfants disparus ont Ă©tĂ© localisĂ©s plus tard dans d’autres Etats membres du Conseil de l'Europe, oĂč ils Ă©taient contraints Ă  se prostituer.

Cet exemple montre bien pourquoi la convention contre la traite est si importante dans le cadre de nos dĂ©bats d’aujourd’hui. En effet, nombre des victimes de la traite sont des enfants, et beaucoup de ces enfants sont ensuite soumis Ă  l’exploitation sexuelle. La convention ne se contente pas de renforcer la coopĂ©ration internationale contre la traite ; elle souligne aussi que les personnes soumises Ă  la traite doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme des victimes, et non pas comme des dĂ©linquants coupables d’infractions Ă  la lĂ©gislation sur l’immigration.

Cela est particuliÚrement important en ce qui concerne les enfants ; le traité comporte donc des dispositions spécifiques qui prévoient des procédures respectueuses des enfants et tenant compte de leurs besoins particuliers.

Enfin, le plus rĂ©cent des trois instruments juridiques est la Convention du Conseil de l'Europe pour la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, qui a Ă©tĂ© ouverte Ă  la signature il y a un mois, Ă  l’occasion de la ConfĂ©rence des ministres europĂ©ens de la Justice. Elle a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© signĂ©e par 25 pays.

Cette convention prĂ©voit des mesures spĂ©cialement destinĂ©es Ă  renforcer la prĂ©vention, l’aide aux victimes, la poursuite des auteurs d’infractions et la coopĂ©ration internationale. Elle a Ă©tĂ© conçue pour combler plusieurs failles : par exemple, elle supprime la rĂšgle de la « double criminalisation », qui a conduit Ă  la crĂ©ation Ă  travers le monde de nombreux « refuges » oĂč les touristes sexuels ne sont pas inquiĂ©tĂ©s.

Le traitĂ© dĂ©finit des normes concernant la maniĂšre d’aider les enfants victimes Ă  se rĂ©tablir et prĂ©voit que les gouvernements veillent Ă  ce que les enquĂȘtes et les procĂ©dures judiciaires se dĂ©roulent dans l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur et le respect des enfants, pour Ă©viter que ceux-ci ne soient traumatisĂ©s deux fois, une premiĂšre fois par les terribles Ă©preuves qu’ils ont subies, et une deuxiĂšme fois par la justice pĂ©nale. Il existe beaucoup d’exemples de bonnes pratiques concernant des procĂ©dures nationales respectueuses des enfants. Ainsi, le modĂšle islandais de la « maison des enfants » (Children’s House) est dĂ©sormais suivi par plusieurs pays nordiques.

FondĂ© sur une Ă©troite collaboration interinstitutionnelle, il vise Ă  rĂ©unir autant de donnĂ©es pertinentes que possible, tout en Ă©vitant Ă  l’enfant d’ĂȘtre soumis Ă  des interrogatoires rĂ©pĂ©tĂ©s et de revivre le traumatisme des abus qu’il a subis. La « maison des enfants » fait en sorte que l’enfant puisse ĂȘtre entendu par un tribunal et examinĂ© par un mĂ©decin, qu’il soit conseillĂ© et orientĂ© et qu’il bĂ©nĂ©ficie d’un traitement et d’un suivi psychiatriques. C’est assurĂ©ment un trĂšs bon exemple de mise en Ɠuvre concrĂšte des nouvelles dispositions de la Convention.

Les Parties Ă  la nouvelle convention seront tenues d’ériger en infraction pĂ©nale le fait pour un adulte de proposer intentionnellement, par le biais d’Internet, une rencontre Ă  un enfant dans le but de le soumettre Ă  une exploitation ou Ă  des abus sexuels. Cette sollicitation d’un enfant Ă  des fins sexuelles (ou « grooming ») est une pratique extrĂȘmement dangereuse par laquelle un adulte vient progressivement Ă  bout de la rĂ©sistance d’un enfant par une sĂ©rie d’actes relevant de la manipulation psychologique. Le mĂȘme stratagĂšme est souvent utilisĂ© pour obtenir le silence de l’enfant aprĂšs que les abus ont eu lieu.

La Convention instaure une criminalisation complĂšte et sans Ă©quivoque de tous les aspects de la pornographie enfantine, de la production Ă  la diffusion, en passant par la possession et par le fait d’accĂ©der, en connaissance de cause, Ă  de la pornographie enfantine. Est Ă©galement Ă©rigĂ© en infraction pĂ©nale le fait intentionnel de faire assister un enfant, Ă  des fins sexuelles, Ă  des abus sexuels ou Ă  des activitĂ©s sexuelles.

L’expĂ©rience montre que de nombreux enfants victimes d’abus sexuels sont incapables, pour diverses raisons, de signaler avant leur majoritĂ© les infractions commises Ă  leur encontre. TrĂšs souvent, le dĂ©lai de prescription est alors dĂ©jĂ  arrivĂ© Ă  expiration. C’est pourquoi la Convention prĂ©cise que le dĂ©lai de prescription pour engager des poursuites du chef d’infractions sexuelles Ă  l’encontre d’enfants ne doit commencer Ă  courir qu’aprĂšs que la victime a atteint l’ñge de la majoritĂ©. Cette disposition comble donc une autre lacune et renforcera considĂ©rablement la protection des enfants contre les abus.

Par ailleurs, la Convention comporte des dispositions relatives Ă  la formation et Ă  la sĂ©lection des personnes amenĂ©es Ă  avoir des contacts rĂ©guliers avec des enfants. Elle prĂ©voit aussi plusieurs autres mĂ©canismes de prĂ©vention, tels que des mesures destinĂ©es aux personnes ayant commis des infractions sexuelles Ă  l’encontre d’enfants et aux personnes craignant de commettre de telles infractions.

A cet Ă©gard, permettez-moi d’ajouter que j’ai lu avec beaucoup d’intĂ©rĂȘt le document de l’organisation « National Society for the Prevention of Cruelty to Children » (NSPCC) sur le thĂšme « protĂ©ger les enfants des abus sexuels en Europe : recruter le personnel avec plus de vigilance dans une Europe sans frontiĂšres ». Les prĂ©occupations exprimĂ©es dans ce document trouvent une rĂ©ponse directe dans notre nouvelle convention contre l’exploitation et les abus sexuels, que je demande instamment Ă  tous les Etats de ratifier dĂšs que possible. La Convention impose d’ailleurs aux Etats de veiller Ă  ce que les conditions d’accĂšs aux professions dont l’exercice comporte de maniĂšre habituelle des contacts avec les enfants permettent de s’assurer que les candidats Ă  ces professions n’ont pas Ă©tĂ© condamnĂ©s pour des actes d’exploitation ou d’abus sexuels concernant des enfants. Dans certains Etats membres, cette obligation peut aussi s’appliquer aux activitĂ©s bĂ©nĂ©voles. L’article 38, qui concerne la coopĂ©ration internationale et l’échange d’informations et de donnĂ©es, y compris Ă  des fins prĂ©ventives, permet d’étendre ces critĂšres de sĂ©lection aux personnes venant d’autres Etats parties Ă  la Convention.

En conclusion, je tiens Ă  remercier le groupe « Save the Children » et la « National Society for the Prevention of Cruelty to Children » pour avoir organisĂ© ce sĂ©minaire Ă  Bruxelles. Nous ne pouvons lutter efficacement contre l’abus sexuel des enfants que si nous mettons en place une bonne coordination Ă  tous les niveaux, local, national, europĂ©en et mondial.

Il suffit d’une personne mal intentionnĂ©e pour blesser un enfant, mais pour arrĂȘter les prĂ©dateurs, prĂ©venir de nouveaux abus et aider les victimes, il faut que de nombreuses personnes (des membres des gouvernements mais aussi des milieux Ă©conomiques et de la sociĂ©tĂ© civile) s’informent mutuellement et travaillent ensemble de maniĂšre intelligente et concertĂ©e.

Les trois instruments juridiques que je viens de dĂ©crire partagent une caractĂ©ristique trĂšs importante : elles ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©es par le Conseil de l'Europe, mais l’ambition Ă©tait dĂšs le dĂ©part de dĂ©passer les frontiĂšres europĂ©ennes et de proposer une base permettant de mener une campagne mondiale contre un flĂ©au mondial. C’est pourquoi les trois conventions sont aussi ouvertes aux pays non europĂ©ens. La convention contre la traite et la convention pour la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels sont, quant Ă  elles, aussi ouvertes Ă  la CommunautĂ© europĂ©enne. Bien entendu, si l’on veut lutter contre un problĂšme mondial, il est utile, et mĂȘme indispensable, d’associer Ă  cette lutte le plus grand nombre de pays possible.

Ces trois conventions partagent une autre caractĂ©ristique : la volontĂ© de protĂ©ger les enfants, y compris sur Internet, et de faire respecter les droits de l'homme dans le monde rĂ©el, mais aussi dans le monde virtuel. A ce propos, Ă  la suite de notre participation au Forum sur la gouvernance de l’Internet de l’ONU, tenu Ă  Rio de Janeiro il y a seulement deux semaines, j’ai demandĂ© Ă  notre comitĂ© sur les mĂ©dias et les nouveaux services de communication, qui est en rĂ©union cette semaine Ă  Strasbourg, d’inviter le ComitĂ© des Ministres Ă  adopter une dĂ©claration sur la nĂ©cessitĂ© de protĂ©ger les enfants contre les prĂ©judices qui leur sont causĂ©s par les contenus qu’ils mettent eux-mĂȘmes sur Internet.

En fixant des normes minimales, les conventions du Conseil de l'Europe prĂ©parent – et parfois imposent - l’adoption de mesures lĂ©gislatives dans les Etats et, le cas Ă©chĂ©ant, au niveau de l’Union europĂ©enne. L’objectif est de bĂątir un systĂšme cohĂ©rent de normes internationales, communautaires et nationales qui permette aux autoritĂ©s de participer, chacune Ă  son niveau, Ă  la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels. Les mots-clĂ©s sont coordination, cohĂ©rence et efficacitĂ©. Notre conviction est que nous pouvons Ă©radiquer ce flĂ©au si nous travaillons intelligemment, et surtout tous ensemble.

Il est vrai que les enfants sont notre avenir, mais beaucoup d’entre eux souffrent aujourd’hui et c’est pourquoi nous devons agir maintenant.

Je vous remercie de votre attention.

Informations complémentaires:

pdf: http://www.coe.int/t/dc/press/news/20071128_disc_cross_sga_FR.asp?

ProblĂšmes: 

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