COLOMBIE: La guérilla des FARC et les milices paramilitaires enrôlent de force des mineurs

Jeyson n'a pas voulu prendre le maquis. Il avait 14 ans quand les guérilleros sont venus le recruter dans son hameau perdu des plaines de l'Est colombien. "Je leur ai expliqué que je devais m'occuper de ma mère. A part moi, elle n'a eu que des filles", confie-t-il.

Ses copains du club de football ont tous pris les armes. Les premiers se sont enrôlés dans les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, extrême gauche), les autres ont choisi de rejoindre les paramilitaires d'extrême droite. A en croire Jeyson, "personne ne les a forcés : ils sont tous partis de leur plein gré".

"La notion de recrutement volontaire ne tient pas, quand il s'agit d'enfants ou d'adolescents : un jeune de moins de 18 ans n'est pas libre de son choix. Le recruter est un crime de guerre", rappelle Marta Zapata de l'organisation non gouvernementale (ONG) allemande Diakonie, qui travaille sur la prévention du recrutement forcé de mineurs.

Combien de ces jeunes Colombiens sont-ils aujourd'hui enrôlés dans les mouvements armés ? L'ONG de défense des droits de l'homme Human Rights Watch, basée à New York, a avancé en 2002 le chiffre de 11 000 jeunes combattants, ce qui fait office de statistique officielle. Seule certitude, la pratique du recrutement forcé d'enfants et d'adolescents a le vent en poupe. Les défenseurs des droits de l'homme s'en inquiètent. Les pouvoirs publics tardent à réagir.

"Le gouvernement à Bogota veut nous faire croire que la guerre est gagnée, mais, sur le terrain, nous savons que ce n'est pas vrai", s'indigne Jose Luis Campo, directeur de Benposta, une organisation d'origine espagnole qui, depuis un quart de siècle, s'occupe de jeunes en difficulté. La misère, l'ignorance et la maltraitance familiale continuent de fournir aux groupes armés un inépuisable réservoir de combattants.

"Quand les paramilitaires sont arrivés, ils m'ont accusé d'être un informateur de la guérilla", raconte Jeyson, qui a aujourd'hui 17 ans. Menacé de mort, il est venu vivre à Vista Hermosa, une municipalité du département du Meta, dans le centre de la Colombie.

Grand comme quinze départements français, le Meta compte 850 000 habitants. Les emplois y sont rares. Dans cette région de vastes prairies, gagnées sur la jungle, les FARC ont longtemps régné sans partage. A l'ombre de leurs fusils d'assaut AK-47, les champs de coca ont prospéré dans les années 1990.

Depuis février 2002, trois mois avant la prise de fonctions du président Alvaro Uribe, l'armée est à l'offensive et tente de reprendre le contrôle du territoire. Officiellement démobilisées, les milices paramilitaires lui prêtent encore main-forte. Et continuent, comme les FARC, de recruter. Sept jeunes de Vista Hermosa en mal d'avenir ont encore disparu il y a deux mois. "Les garçons aiment les armes, les filles les uniformes, et les "paras" payent bien", résume Jessica, 15 ans. Mais elle ne partira pas faire la guerre, car son frère guérillero a été tué à l'âge de 22 ans et sa meilleure amie a été violée par les paramilitaires.

A Vista Hermosa et dans le bourg voisin de Puerto Rico, Benposta a mis en place des "groupes de solidarité juvénile". "Tenter de mettre les jeunes en réseau est la première étape de la prévention", explique Alex Leal, éducateur. Débats et activités culturelles permettent aux jeunes de réfléchir ensemble sur les dangers qui les entourent.

"Les mouvements armés recrutent souvent insidieusement, affirme José Luis Campo. L'enfant ou l'ado accepte d'abord de jouer les messagers, de passer des colis ou des informations. Puis on lui confie des responsabilités plus importantes. Finalement, la situation devient trop dangereuse pour lui et il n'a d'autre choix que de prendre le maquis." Le départ est d'autant plus facile qu'un frère, un cousin ou un fiancé y attend souvent le jeune.

Filles et garçons sont concernés par le recrutement forcé. A en croire les données officielles, l'âge d'embauche des combattants tend à baisser. Il est désormais de 12 ans et demi, selon un rapport de la "défense du peuple", l'organisme public chargé de faire respecter les droits des citoyens.

"Cela signifie que guérilleros et paramilitaires n'hésitent pas à engager des enfants de 9 ans", précise Maria Cristina Hurtado, un des auteurs du rapport. Les réseaux mis en place par Benposta permettent de repérer les enfants et les adolescents les plus menacés pour les envoyer à Villavicencio - le chef-lieu du Meta - ou à Bogota. Mais les institutions d'accueil font terriblement défaut.

Sur la route qui va de Vista Hermosa à Villavicencio, une camionnette bringuebalante transporte trois matelas tachés, des vieux meubles et une demi-douzaine d'enfants. "Des personnes déplacées", note Alexander Leal.

Selon l'ONG Codhes, le recrutement forcé des jeunes est devenu une des causes du déplacement de populations. "Pour éviter que leur gosse ne soit enrôlé de force, les gens fuient et tentent de trouver refuge dans les faubourgs misérables des villes", assure l'anthropologue Angelica Gomez. Plus de 230 000 Colombiens ont été forcés d'abandonner leur domicile au cours du premier semestre.

Difficile de savoir si le recrutement forcé d'adolescents augmente ou s'il est seulement devenu plus visible. "Avant, les paysans jugeaient normal qu'un fils prenne le maquis, ils en étaient même fiers parfois, souligne Hector Montoya, secrétaire général de la mairie de Vista Hermosa. Aujourd'hui, personne ne veut d'un fils guérillero ou paramilitaire. Les gens commencent à dénoncer le crime de recrutement forcé." A son avis, "c'est une victoire de la politique sécuritaire du président Alvaro Uribe". Une bien petite victoire.

pdf: http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2008/11/10/en-colombie-la-gueril...

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