AUSTRALIE : sous le choc de la maltraitance de détenus mineurs

[Le 26 juillet 2016] - Le premier ministre australien, Malcolm Turnbull, a annoncĂ©, mardi 26 juillet, l’ouverture d’une enquĂȘte concernant le traitement des mineurs placĂ©s en centres de dĂ©tention aprĂšs la diffusion lundi soir d’images vidĂ©o montrant notamment des gardiens de prison soumettant des dĂ©tenus adolescents Ă  des gaz lacrymogĂšnes ou encore attachant Ă  une chaise un garçon encagoulĂ© et Ă  moitiĂ© nu.
 
« Four Corners », le magazine d’investigation de la chaĂźne de tĂ©lĂ©vision publique Australian Broadcasting Corporation (ABC), s’est procurĂ© en exclusivitĂ© ces enregistrements de camĂ©ras de vidĂ©osurveillance du centre de dĂ©tention pour mineurs Don Dale, prĂšs de Darwin, capitale du Territoire du Nord. Les images montrent des gardes en train de dĂ©shabiller les dĂ©linquants, parmi lesquels de nombreux AborigĂšnes, et de les asperger de gaz lacrymogĂšne. Certains sont placĂ©s Ă  l’isolement pendant des semaines.
 
Dans une des vidĂ©os, on voit un adolescent enchaĂźnĂ© Ă  une chaise par les chevilles, les poignets et le cou, et abandonnĂ© lĂ  pendant deux heures, avec une cagoule sur la tĂȘte. ABC n’a pas rĂ©vĂ©lĂ© comment elle avait obtenu ces images, au nom de la protection des sources.
 

« Profondément choqué »

« Comme tous les Australiens, j’ai Ă©tĂ© profondĂ©ment choquĂ©, choquĂ© et horrifiĂ© par les images de maltraitance d’enfants », a assurĂ© Malcolm Turnbull sur la radio ABC, tout en annonçant la mise sur pied d’une commission royale, soit une enquĂȘte publique de premier plan, disposant d’importants moyens judiciaires. « Nous allons agir vite, avec dĂ©termination pour tirer les choses au clair (
) et mettre au jour la culture qui a permis que cela se produise et reste cachĂ© pendant si longtemps. »
 
Les images de camĂ©ras de vidĂ©osurveillance du centre Don Dale, enregistrĂ©es entre 2010 et 2014, soulĂšvent non seulement la question de la maltraitance des enfants, mais Ă©galement celle du traitement des AborigĂšnes. Le Territoire du Nord a l’un des taux de criminalitĂ© les plus Ă©levĂ©s d’Australie. « Notre peuple [les AborigĂšnes] Ă©tait au courant de ce genre de choses (
) et les voir exposĂ©es crĂ»ment Ă  nos yeux doit agir comme une prise de conscience pour tout le monde en Australie, a dĂ©clarĂ© Mick Gooda, commissaire chargĂ© de la justice sociale pour les AborigĂšnes et les indigĂšnes du dĂ©troit de TorrĂšs. Ce que nous avons vu hier soir est absolument honteux. »
 
Certains incidents montrĂ©s dans les images vidĂ©o et relatifs Ă  l’usage de gaz lacrymogĂšne avaient Ă©tĂ© justifiĂ©s par les gardiens par la tentative d’évasion en aoĂ»t 2014 de quelques jeunes dĂ©tenus du quartier d’isolement. Une version que les images diffusĂ©es lundi soir mettent Ă  mal, selon le Sydney Herald Tribune, qui rapporte que seul un des jeunes dĂ©linquants avait tentĂ© de s’évader.
 

« La maltraitance au cƓur du systĂšme »

Deux enquĂȘtes indĂ©pendantess relatives Ă  ces incidents avaient Ă©tĂ© commanditĂ©e : l’une par le gouvernement du Territoire du Nord ; l’autre par la commissaire Ă  l’enfance du Territoire. Le rapport rĂ©digĂ© l’an dernier par la commissaire Colleen Gwynne avait condamnĂ© le comportement des gardiens, mais les conclusions du document avaient Ă©tĂ© contestĂ©es par ceux qui Ă©taient alors Ă  la tĂȘte des prisons et le texte n’avait donnĂ© lieu Ă  aucune sanction, a soulignĂ© la chaĂźne ABC. Colleen Gwynne souhaite « une rĂ©forme plus complĂšte, et surtout, plus rapide, en affectant des moyens financiers, pour s’assurer que nous ne nous retrouvions jamais dans cette situation ».
 
Ruth Barson, une avocate spĂ©cialiste des droits de l’homme, a dĂ©clarĂ© dans « Four Corners » que le placement des mineurs Ă  l’isolement contrevenait Ă  la convention de l’Organisation des Nations unies (ONU) contre la torture.
 
Quelques heures aprÚs la diffusion des images de vidéosurveillance par ABC, le ministre en chef du Territoire du Nord, Adam Giles, a remercié son ministre chargé des questions pénitentiaires, John Elferink, estimant que les informations sur les abus dans les prisons lui avaient été cachées et dénonçant une « culture de dissimulation » au sein du systÚme pénitentiaire. Si John Elferink avait dans un premier temps félicité les gardiens, il avait depuis reconnu les failles du systÚme carcéral.
 
L’avocat Peter O’Brien, qui reprĂ©sente Dylan Voller et Jake Roper, deux des jeunes victimes de maltraitance, a annoncĂ© qu’il allait porter plainte en leur nom contre l’état du Territoire du Nord. 
« Il semblerait que ces maltraitances sont au cƓur du systĂšme », prĂ©cise-t-il dans un communiquĂ©, appelant Ă  la libĂ©ration immĂ©diate de Dylan Voller, aujourd’hui incarcĂ©rĂ© dans une prison pour adultes, et Ă  celle de tous les enfants dĂ©tenus dans le Territoire du Nord.
 
Gillian Triggs, prĂ©sidente de la Commission des droits de l’homme australienne, a saluĂ© l’annonce de l’ouverture d’une enquĂȘte, tout en rappelant que son organisation fait des rapports depuis des annĂ©es sur l’emprisonnement de la population indigĂšne, en particulier les mineurs. « (
) Et nous avons eu beaucoup, beaucoup de dĂ©tails (
) sur les affreuses conditions de leur dĂ©tention ».
 

« Répondre de leurs actes »

D’aprĂšs Amnesty International, les enfants aborigĂšnes ont vingt-six fois plus de risques de se retrouver en prison que les autres enfants, dans un contexte de lacunes Ă©ducatives, de chĂŽmage Ă©levĂ© et de toxicomanie.
 
L’ONG Human Rights Watch (HRW) a expliquĂ© qu’elle demandait depuis longtemps au gouvernement de rĂ©agir aux abus commis dans les centres de dĂ©tention pour jeunes dĂ©linquants. La situation dans le Territoire du Nord n’est que la partie Ă©mergĂ©e de l’iceberg, a-t-elle prĂ©venu. Pour Elaine Pearson, directrice pour l’Australie de HRW, ce qui se passe Ă  Don Dale est « l’exemple classique de ce qu’il ne faut pas faire avec les jeunes en difficultĂ© ». « L’utilisation excessive de la force, l’isolement et les fers sont barbares et inhumains », a-t-elle dĂ©noncĂ©. « La force excessive est un abus et ceux qui commettent ces abus doivent rĂ©pondre de leurs actes. »
 
Les habitants du Territoire du Nord vont Ă©lire leur nouvelle assemblĂ©e lĂ©gislative territoriale le 27 aoĂ»t. La campagne est justement axĂ©e sur les conditions d’incarcĂ©ration des AborigĂšnes et leur surreprĂ©sentation dans les prisons du Territoire. Plus de 80 % des dĂ©tenus adultes et 97 % des dĂ©tenus mineurs sont aborigĂšnes. Et s’ils reprĂ©sentent seulement 3 % de la population australienne, les AborigĂšnes reprĂ©sentent 27 % de la population carcĂ©rale du pays.
 
Making Justice Work, une coalition d’ONG, de services sociaux, de services juridiques du territoire, fait pression sur les candidats des deux principaux partis pour qu’ils se mettent d’accord sur un plan d’urgence afin de faire baisser la proportion d’autochtones dans les prisons. Parmi les revendications de Making Justice Work : la crĂ©ation de tribunaux thĂ©rapeutiques pour prendre des dĂ©cisions sur la santĂ© mentale des prĂ©venus ; l’abolition des peines de prison obligatoires pour certains dĂ©lits et crimes.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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