AUSTRALIE: des excuses pour les AborigĂšnes

[13 fĂ©vrier 08] - Le nouveau gouvernement australien a demandĂ© pardon au peuple autochtone et Ă  la « gĂ©nĂ©ration volĂ©e » pour sa politique d’assimilation. Mais pas question de compensations.

StĂ©phane Bussard/Le Temps - Moment historique ce mercredi matin 13 fĂ©vrier, au parlement de Canberra. Le premier ministre australien Kevin Rudd a exprimĂ© son pardon aux AborigĂšnes pour ce qu’il convient d’appeler la « gĂ©nĂ©ration volĂ©e ». De 1910 Ă  1969, l’Etat australien a menĂ© une politique d’assimilation forcĂ©e autorisant Ă  retirer des enfants aborigĂšnes de leurs parents pour les placer dans des familles de Blancs ou dans des institutions religieuses. Certains ont subi des abus sexuels, d’autres ont Ă©tĂ© utilisĂ©s comme main-d’Ɠuvre gratuite.

« ArrĂȘtez-vous, regardez et faites partie de l’Histoire. » L’énorme campagne orchestrĂ©e par les autoritĂ©s invitait tous les Australiens Ă  suivre en direct mercredi le discours symbolique de Kevin Rudd. Des Ă©crans gĂ©ants ont Ă©tĂ© installĂ©s Ă  proximitĂ© du parlement. Des animations liĂ©es Ă  la culture aborigĂšne Ă©taient proposĂ©es dans les grandes villes du pays. Plusieurs Ă©coles ont dĂ©cidĂ© d’interrompre les cours. Les mots de la dĂ©claration ont Ă©tĂ© soigneusement pesĂ©s avec les leaders de la communautĂ© aborigĂšne, qui compte quelque 450 000 Ăąmes sur une population de 21 millions d’habitants. L’ex-premier ministre conservateur John Howard, qui, au cours de ses onze ans de pouvoir, avait toujours refusĂ© d’accorder son pardon aux AborigĂšnes, n’a pas participĂ© Ă  la cĂ©rĂ©monie.

Dans le quotidien The Australian , la championne olympique de 400 mĂštres, Cathy Freeman, 35 ans, salue le geste des autoritĂ©s australiennes : « Pour ma famille, il va permettre une certaine guĂ©rison. [
] Dire pardon, c’est comme donner une chance de nous rĂ©unifier. » La profondeur du tĂ©moignage rĂ©vĂšle une histoire familiale douloureuse que Cathy Freeman n’a dĂ©couverte que rĂ©cemment, aprĂšs sa retraite sportive. Quand elle Ă©tait petite, sa mĂšre fut placĂ©e de force dans une institution religieuse. On lui interdisait de parler sa langue. L’ex-championne olympique ajoute : « Mon arriĂšre-arriĂšre grand-pĂšre [
] a combattu durant la PremiĂšre Guerre mondiale pour ce pays. » On ne lui paya jamais la solde. Il avait combattu en homme libre, mais Ă©tait retournĂ© en Australie en esclave.

SpĂ©cialiste des questions du pardon*, Pierre Hazan estime que les excuses telles que celles prĂ©sentĂ©es au peuple aborigĂšne font partie d’un rituel important. Elles contribuent Ă  construire une identitĂ© nationale. Elles permettent de rĂ©Ă©crire l’Histoire d’un pays. « Prenez le discours historique du conseiller fĂ©dĂ©ral Kaspar Villiger en 1995, dans lequel il prĂ©senta ses excuses au nom du peuple suisse pour la politique de refoulement des rĂ©fugiĂ©s juifs symbolisĂ©e par le « J » apposĂ© dans les passeports durant la Seconde Guerre mondiale, relĂšve Pierre Hazan. Il a initiĂ© un processus de relecture du passĂ© de la Suisse qui fait qu’aujourd’hui, l’Histoire de la Suisse qui est enseignĂ©e n’est plus tout Ă  fait la mĂȘme qu’il y a vingt ans. Les Etats Ă©crivent dĂ©sormais leur propre histoire de maniĂšre infiniment moins hĂ©roĂŻque que par le passĂ©. Il y a eu un transfert de sacralitĂ©. Ce ne sont plus la nation ou l’Etat qui sont sacrĂ©s, ce sont les victimes qui bĂ©nĂ©ficient de ce redoutable privilĂšge. Un redoutable privilĂšge, car elles risquent elles-mĂȘmes de se retrouver prisonniĂšres de ce nouveau rĂŽle. »

Quand le chancelier allemand Willy Brandt s’agenouille devant un monument commĂ©morant le ghetto juif de Varsovie en 1970, la portĂ©e du geste est considĂ©rable. Jusqu’ici, l’Allemagne avait versĂ© des milliards de francs de rĂ©paration, mais n’avait pas procĂ©dĂ© Ă  un geste fort.

Dans les annĂ©es 1990, les actes de repentance se sont multipliĂ©s. Mais les excuses en elles-mĂȘmes ne suffisent pas. Selon Pierre Hazan, pour qu’un pardon produise des effets bĂ©nĂ©fiques, il faut qu’il soit perçu comme sincĂšre et qu’il se dĂ©roule dans un lieu appropriĂ©. Ainsi, en 1993, au Japon, le gouvernement Miyazaw avait reconnu l’implication directe ou indirecte de l’armĂ©e dans la crĂ©ation et la gestion de bordels oĂč prĂšs de 200 000 femmes asiatiques avaient Ă©tĂ© abusĂ©es. Mais la dĂ©claration avait Ă©tĂ© tellement prudente et floue qu’elle manquait de sincĂ©ritĂ©. En Australie, l’historien Keith Windschuttle estime que sans rĂ©parations financiĂšres, « le pardon sera un pur geste de relations publiques ». Le gouvernement exclut toutefois toute compensation.

Ce mercredi est Ă  marquer d’une pierre blanche dans les livres d’histoire australiens. Un juste retour du sort pour ce groupe ethnique le plus pauvre d’Australie. Les AborigĂšnes sont surreprĂ©sentĂ©s dans les prisons, ils comptent le plus grand nombre de chĂŽmeurs, d’alcooliques et d’illettrĂ©s. Leur espĂ©rance de vie est de 17 ans infĂ©rieure Ă  la moyenne nationale. Le pardon les aidera peut-ĂȘtre Ă  ne plus appeler la fĂȘte nationale australienne le « jour de l’invasion », en rĂ©fĂ©rence aux Britanniques, qui, Ă  partir de 1788, avaient contribuĂ© Ă  dĂ©cimer 80% de la population aborigĂšne. Il devrait prouver que le tour d’honneur rĂ©alisĂ© par Cathy Freeman aux Jeux olympiques de Sydney en 2000, avec les drapeaux australien et aborigĂšne, n’était pas une exception.

* « Juger la guerre, juger l’Histoire, du bon usage des commissions vĂ©ritĂ© et de la justice internationale »

pdf: http://www.humanrights-geneva.info/spip.php?article2744

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