MADAGASCAR : Le « fady kambana », une coutume discriminatoire

Summary: A Mananjary où élever des jumeaux est interdit, la tradition mène la vie dure. Des enfants jumeaux continuent d’être abandonnés, au grand dam des organisations de défense des droits de l’Homme et des droits de l’Enfant.

[Le 27 octobre 2011] - Des bébés déposés au pied d’un arbre ou laissés au bord de la route dans un carton ou un panier. Des pratiques dont seraient encore victimes des jumeaux nés à Mananjary chez les Antambahoaka, où il est interdit d’élever des jumeaux. Ces derniers, semble-t-il, attireraient malheur et malédiction sur ceux qui les élèvent.

Mais « ce sont des pratiques qui n’ont plus cours chez nous », conteste une habitante de la ville de Mananjary venue à Antananarivo à l’occasion du lancement de l’ouvrage sur les Jumeaux de Mananjary, entre abandon et protection, une étude réalisée par le Centre d’Analyse et de Prospectives sur le Développement à Madagascar (CAPDAM) à la demande du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).

Notre jeune femme antambahoaka reconnait pourtant que l’abandon d’enfants jumeaux est courant dans sa région natale. « Nos parents l’ont fait et nous nous soumettons à la coutume. Les jumeaux constituent un tabou ancestral », explique-t-elle. Mais au lieu de les abandonner dans la nature, les familles les amènent plutôt dans des centres d’accueil, les placent en adoption, ou les donnent à des parents ou des amis plutôt proches.

Ceux qui envisagent de garder les jumeaux sont de fait mis au ban de la Communauté, exclus des rites coutumiers, voire interdits du tombeau ancestral. « Chez les Antambahoaka, garder des jumeaux, c’est aller à l’encontre de la coutume, violer les traditions », indique un mobilisateur social travaillant dans la région.

Mais pour les organisations de défense des droits de l’Homme en général et des droits de l’Enfant, cette coutume est discriminatoire. En 2007, le Comité des Nations Unies sur les droits humains a exprimé son inquiétude à propos du rejet des enfants jumeaux. Il a demandé à l’État malgache de « prendre des mesures énergiques, adéquates et contraignantes, pour éradiquer ces pratiques et assurer la préservation des jumeaux dans leur famille, de manière à ce que tout enfant bénéficie de mesures de protection effective ».

Non droit

L’UNICEF, de son coté, déplore les diverses violations de droits dont sont victimes les enfants abandonnés. « Chaque enfant a le droit de vivre avec ses parents biologiques et de recevoir les meilleurs soins pour assurer sa survie et son développement. Tout doit être mis en œuvre pour qu’aucun enfant ne souffre de discrimination et d’exclusion », déclare Bruno Maes, représentant de l’organisation à Madagascar, dans un communiqué de presse publié par le bureau de l’organisation dans la Grande île à l’occasion du lancement de l’étude du CAPDAM.

Les auteurs de l’ouvrage, eux, racontent les difficultés auxquelles les jumeaux abandonnés font face. « Le manque de soins aggravé par le froid et l’état de choc devient fatal pour ces bébés jumeaux abandonnés. Leur espérance de vie est dramatiquement faible (…), la plupart meurent avant la fin du premier semestre, les principaux fléaux qui les guettent étant la dysenterie (diarrhée), l’état avancé de malnutrition et, pour les riverains du canal de Pangalana, la drépanocytose », indiquent-ils dans l’ouvrage.

Quant à l’État malgache, depuis l’interpellation lancée par le Comité des droits humains, des mesures législatives ont été adoptées. La loi sur les droits et la protection de l’enfance adoptée en 2007 prévoit notamment des mesures contre les abandons d’enfants. Celle-ci n’est pourtant pas encore appliquée contre les parents antambahoaka qui abandonnent leurs enfants. La Communauté ne s’en braquera que davantage, estime Nelly Ranaivo-Rabetokotany, co-auteure de l’ouvrage.

« Le plus important n’est pas de prendre des mesures contraignantes et répressives contre ceux qui abandonnent leurs enfants jumeaux, mais plutôt de faire prendre conscience aux différents acteurs de la protection de l’enfance de l’urgence d’une mobilisation de toutes les institutions, pour écourter la survie de cet interdit préjudiciable à la communauté antambahoaka », déclare-t-elle.

 

 

pdf: http://www.crin.org/docs/Le « fady kambana », une coutume discriminatoire

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