Burundi : Les responsables des hĂŽpitaux gardent prisonniers des centaines de patients insolvables

[BUJUMBURA, 7 septembre 2006] – Les hĂŽpitaux publics burundais maintiennent rĂ©guliĂšrement en dĂ©tention des patients qui sont dans l’incapacitĂ© de rĂ©gler leur facture, ont dĂ©clarĂ© Human Rights Watch et l’Association burundaise pour la Protection des droits humains et des personnes dĂ©tenues, dans un nouveau rapport publiĂ© aujourd’hui. Les patients peuvent ĂȘtre maintenus en dĂ©tention pendant des semaines et mĂȘme des mois dans des conditions Ă©pouvantables.

Cette pratique met en lumiĂšre les problĂšmes plus larges du secteur de la santĂ© au Burundi, oĂč les patients doivent payer pour se faire soigner, affirment les deux organisations. Elles appellent toutes les deux le gouvernement du Burundi Ă  mettre un terme aux dĂ©tentions et Ă  faire de l’accĂšs aux soins de santĂ© pour tous les Burundais une partie centrale de son nouveau Cadre StratĂ©gique de Lutte contre la PauvretĂ©.  
 
« Maintenir en dĂ©tention des patients pauvres parce qu’ils ne peuvent pas payer une facture punit les personnes sans ressources et viole les normes internationales en matiĂšre de droits de l’homme, » affirme Juliane Kippenberg, chargĂ©e de liaison avec les ONG de la division Afrique Ă  Human Rights Watch. « C’est lĂ  un abus auquel les autoritĂ©s burundaises se doivent de mettre un terme. »  
 
Le rapport de 80 pages « Une santĂ© chĂšrement payĂ©e : La dĂ©tention des patients sans ressources dans les hĂŽpitaux burundais,» dĂ©crit en dĂ©tail la façon dont les hĂŽpitaux burundais ont maintenu en dĂ©tention au cours de l’annĂ©e 2005 des centaines de patients indigents, parfois dans des conditions inhumaines. Beaucoup de ces personnes Ă©taient des femmes venues accoucher et qui devaient subir une cĂ©sarienne non prĂ©vue. Dans certains cas, les responsables de l’hĂŽpital ont refusĂ© de continuer Ă  prodiguer des soins aux personnes qui ne pouvaient pas payer leur facture et les ont obligĂ©es Ă  libĂ©rer leur lit au profit de nouveaux patients plus aisĂ©s.  
 
Des patients qui ne pouvaient pas payer leur facture ont Ă©tĂ© gardĂ©s prisonniers et se sont vus interdire de quitter l’hĂŽpital, souvent pendant des semaines ou des mois, et mĂȘme dans un cas pendant plus d’un an. Certaines personnes dĂ©tenues ont vendu leurs bĂȘtes ou leurs terres pour solder leurs comptes afin de pouvoir quitter l’hĂŽpital. D’autres se sont Ă©chappĂ©es ou ont Ă©tĂ© secourues par des bienfaiteurs qui ont rĂ©glĂ© leur facture. Le gouvernement du Burundi continue Ă  maintenir en dĂ©tention des patients indigents. Des centaines d’entre eux sont actuellement dĂ©tenus dans les hĂŽpitaux publics du pays.  
 
Au Burundi, l’une des nations les plus pauvres du monde, il est courant que des patients n’aient pas assez d’argent pour payer des frais mĂ©dicaux. Les plus vulnĂ©rables sont censĂ©s avoir une partie de leurs frais mĂ©dicaux payĂ©e par le gouvernement, mais le systĂšme d’aide ne fonctionne pas rĂ©ellement. De plus, le secteur de la santĂ© au Burundi est minĂ© par un financement largement insuffisant, ainsi que par la fraude et la corruption.  
 
« Tandis que les autoritĂ©s travaillent sur des stratĂ©gies de lutte contre la pauvretĂ©, il est plus que temps qu’elles s’occupent du droit Ă©lĂ©mentaire aux soins pour tous les Burundais », dĂ©clare Jean-Baptiste Sahokwasama de l’APRODH.  
 
Le 1er mai 2006, le gouvernement a pris une mesure positive en ordonnant que les soins soient prodiguĂ©s gratuitement aux mĂšres et aux jeunes enfants. Depuis lors, les hĂŽpitaux ont autorisĂ© les mĂšres et les enfants en bas Ăąge Ă  quitter les hĂŽpitaux sans payer leurs factures. Cependant, cette mesure a Ă©tĂ© mal prĂ©parĂ©e et a abouti Ă  un afflux massif de femmes enceintes et d’enfants malades, pesant gravement sur les ressources des hĂŽpitaux. Cette mesure n’a pas apportĂ© de solution Ă  d’autres patients insolvables qui sont toujours en dĂ©tention.  
 
« Les donateurs vont bientĂŽt prendre des dĂ©cisions importantes sur l’allĂšgement de la dette et sur l’aide attribuĂ©e au Burundi, » dĂ©clare Sahokwasama. « Les fonds issus de l’allĂšgement de la dette et de l’aide internationale devraient de toute urgence ĂȘtre attribuĂ©s au secteur de la santĂ© de sorte que les hĂŽpitaux et les mĂ©decins puissent se consacrer Ă  fournir des soins Ă  tous ceux qui en ont besoin. »  
 
Le travail de recherche de terrain pour ce rapport a Ă©tĂ© menĂ© dans six hĂŽpitaux burundais entre janvier et juin 2005. Le rapport s’appuie sur des entretiens rĂ©alisĂ©s avec plus de quarante patients dĂ©tenus, ainsi qu’avec des membres du secteur de la santĂ© et des responsables gouvernementaux.  
 
Témoignages  
 
Nous sommes arrivĂ©s Ă  l’hĂŽpital de Gitega le 15 juin 2004. A ce moment-lĂ , j’étais dĂ©muni car les rebelles Ă©taient venus chez moi et avaient presque tout pillĂ©. J’ai Ă©tĂ© opĂ©rĂ© lĂ  mais mon Ă©tat ne s’amĂ©liorait pas. Trois mois aprĂšs, ils sont venus me voir et m’ont dit de rĂ©gler
1 750 000 FBU [1 750$]. Je ne vois pas comment j’aurais pu payer cette facture parce que je n’avais mĂȘme pas une parcelle de terre Ă  mettre en gage.  
— David S., un paysan ĂągĂ© de 32 ans et dĂ©tenu Ă  l’hĂŽpital de Gitega aprĂšs un accident de voiture.  
 
J’ai dĂ» venir Ă  l’hĂŽpital parce que j’avais besoin d’une cĂ©sarienne. Quand j’ai reçu la facture, le mĂ©decin m’a dit : « Comme tu n’as pas payĂ©, on va t’emprisonner ici ». La vie est difficile ici. Je ne peux pas partir avec mon bĂ©bĂ©. Nous avons souvent faim ici. Je ne peux plus supporter cette situation.  
— Christine K., une jeune femme de 18 ans dĂ©tenue avec son bĂ©bĂ© Ă  la clinique Louis Rwagasore, Ă  Bujumbura.  
 
J’ai eu un accident avec une voiture, c’était une voiture des Nations Unies. Je jouais avec d’autres enfants et ils m’ont poussĂ© dans la rue. Ma jambe a Ă©tĂ© dĂ©truite...J’étais en septiĂšme annĂ©e d’école mais maintenant je ne vais plus Ă  l’école du tout. Maintenant, je suis guĂ©ri, il y a seulement une petite blessure Ă  gauche. Ma famille ne peut pas payer la facture. On m’a dit que je ne pourrai pas partir Ă  moins qu’elle ne soit payĂ©e. Je suis dĂ©tenu ici parce que je ne peux pas aller au-delĂ  de la sortie. Les sƓurs me donnent de la nourriture deux fois par jour.  
— FĂ©lix M., un jeune garçon de 12 ans qui a Ă©tĂ© dĂ©tenu pendant plus d’un an Ă  l’hĂŽpital Prince RĂ©gent Charles, Ă  Bujumbura ; son pĂšre a dĂ©pensĂ© les fonds qui lui avaient Ă©tĂ© versĂ©s pour rĂ©gler les frais d’hĂŽpital.  
 
Je suis en dĂ©tention parce que je ne peux pas trouver l’argent pour rĂ©gler ma facture. Je ne peux pas m’en aller ni me dĂ©placer librement. Je suis surveillĂ©e oĂč que j’aille parce qu’ils pensent toujours que je pourrais m’évader. Mais ce n’est pas bon de s’enfuir. Quand ils vous attrapent, vous ne pouvez plus revenir vous faire soigner. Je serai punie pour cela.  
— FĂ©licitĂ© G., ĂągĂ©e de 17ans, mĂšre d’un bĂ©bĂ© atteint de malaria, et dĂ©tenue Ă  l’hĂŽpital de Ngozi.  

 

pdf: http://www.hrw.org/french/docs/2006/09/07/burund14129.htm

Country: 
Tags: 

Please note that these reports are hosted by CRIN as a resource for Child Rights campaigners, researchers and other interested parties. Unless otherwise stated, they are not the work of CRIN and their inclusion in our database does not necessarily signify endorsement or agreement with their content by CRIN.