BURKINA FASO-NIGER: La maladie de la pauvreté ronge le visage des enfants

OUAGADOUGOU, 27 June 2007 (IRIN) - Les dents serrĂ©es, Noufou a racontĂ© son histoire en bĂ©gayant, avec l’aide d’un interprĂšte adulte. AprĂšs avoir perdu ses deux parents, le jeune garçon s’est retrouvĂ© Ă  la rue. Un jour, il s’est rĂ©veillĂ© avec du sang dans la bouche. En deux semaines, la moitiĂ© de son visage s’est dĂ©sintĂ©grĂ©e : Ă  la place, un trou bĂ©ant exposait dĂ©sormais sa mĂąchoire.

Dans la poussiĂšre, derriĂšre un centre mĂ©dical de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, Noufou joue avec d’autres victimes du noma, une forme d’affection gangrĂ©neuse. Le jeune garçon, qui semble pourtant timide, a volontiers esquissĂ© un sourire, accompagnĂ© d’un Ă©clat de rire, crachotĂ© entre ses lĂšvres mutilĂ©es. Les enfants portent tous des pansements et de l’emplĂątre adhĂ©sif pour soutenir la peau de leurs visages Ă  moitiĂ© rongĂ©s.

Noufou a 16 ans, mais il a le physique d’un garçon de huit ans, ayant toute sa vie souffert de malnutrition.

On ne connaĂźt pas la cause exacte de sa maladie, mais il s’agirait d’une bactĂ©rie, ou organisme fuso-spirillaire, qui s’attaque aux enfants atteints de malnutrition sĂ©vĂšre et ĂągĂ©s de deux Ă  cinq ans, vivant dans des conditions insalubres. Elle est souvent prĂ©cĂ©dĂ©e d’autres affections, telles que la rougeole, la tuberculose ou l’immunodĂ©ficience.

Environ 80 pour cent des enfants atteints de noma meurent en l’espace de quelques semaines, ce qui laisse penser que le nombre de cas signalĂ©s ne serait en fait que la partie Ă©mergĂ©e de l’iceberg.

Pour soigner le noma, on administre un traitement Ă  base d’antibiotiques courants, tels que l’amoxicilline ou le mĂ©tronidazole ; malheureusement, trĂšs peu d’enfants qui contractent cette maladie ont accĂšs Ă  des soins de santĂ©, mĂȘme les plus Ă©lĂ©mentaires.

« C’est parce qu’ils sont pauvres, trĂšs pauvres », a expliquĂ© Ă  IRIN Patrick Joly, directeur du programme africain de l’organisation non gouvernementale (ONG) suisse Sentinelles. L’anĂ©mie, le manque d’accĂšs Ă  l’eau potable pour boire et se laver, et le manque d’éducation sont autant de facteurs qui favorisent la maladie, a-t-il ajoutĂ©.

« Ce n’est pas une explication scientifique, mais c’est la raison [qui explique l’apparition de la maladie] », a-t-il affirmĂ©.

L’apparition de la maladie

Le noma commence par un simple aphte et des saignements de la bouche. Si rien n’est fait, la maladie gangrĂ©neuse se propage rapidement, rongeant les joues de la personne atteinte, et formant une croĂ»te noire.

Une petite fille souffrant de noma, Ă  la clinique de l'ONG Sentinelles Ă  Ouagadougou
« Lorsque la croûte tombe, quelques jours aprÚs, elle emporte avec elle toute la chair de la bouche, exposant la mùchoire », a expliqué M. Joly.

Le noma existe en Asie du sud-est et en Afrique, de l’Ethiopie au Nigeria ; toutefois, la rĂ©gion la plus touchĂ©e est le Sahel, dans l’ouest de l’Afrique. La plupart des cas se dĂ©clarent au Niger, oĂč Sentinelles en a constatĂ© 800, et au Burkina Faso, oĂč l’ONG en a observĂ© 300.

Ces deux pays présentent les taux de malnutrition les plus élevés du monde, puisque prÚs de 50 pour cent des enfants y sont en sous-poids et sous-alimentés.

Les chercheurs de l’universitĂ© de GenĂšve, en Suisse, tentent actuellement de comprendre pourquoi la maladie se propage si rapidement et de façon aussi destructrice. Mais pour M. Joly, cette recherche n’a d’intĂ©rĂȘt que d’un point de vue acadĂ©mique.

« Les personnes qui attrapent cette maladie sont celles qui souffrent le plus de la malnutrition et bĂ©nĂ©ficient des soins de santĂ© les plus insuffisants. Ce n’est pas une maladie transmissible », a-t-il expliquĂ©.

Craintes liées au VIH

Au Burkina Faso, certains adultes, dont le systĂšme immunitaire avait Ă©tĂ© affaibli par le VIH, ont contractĂ© le noma, a expliquĂ© M. Joly ; une premiĂšre mondiale qui porte Ă  croire que la maladie pourrait commencer Ă  se manifester chez un plus grand nombre de nourrissons et d’enfants nĂ©s avec le VIH/SIDA en Afrique.

Au Burkina Faso, Sentinelles forme des travailleurs de la santĂ© Ă  reconnaĂźtre les premiers symptĂŽmes de la maladie ; l’ONG se rend dans les centres de santĂ© et les dispensaires, et chez les guĂ©risseurs traditionnels, qui sont gĂ©nĂ©ralement le premier relais d’information, pour la plupart des malades du pays.

MalgrĂ© tout, le noma n’est pas encore enseignĂ© dans les Ă©coles de mĂ©decine du Burkina Faso et seuls quatre chirurgiens, qui viennent chaque annĂ©e d’Europe, pratiquent des opĂ©rations de chirurgie reconstructive.

GĂ©nĂ©ralement, les enfants ne peuvent ĂȘtre opĂ©rĂ©s avant l’ñge de 16 ans : leur croissance naturelle dĂ©truirait les rĂ©sultats des interventions.

Noufou, aujourd’hui ĂągĂ© de 16 ans, a d’épaisses boursouflures sur le dos et les cĂŽtes ; ces marques attestent de la succession de greffes de peau atrocement douloureuses, rĂ©alisĂ©es par les mĂ©decins pour tenter de refermer, sinon de reconstruire complĂštement, le visage de Noufou avec des morceaux de peau prĂ©levĂ©s sur d’autres parties de son corps.

Surmonter le stigmate

Noufou, aprÚs deux opérations de reconstruction de son visage
D’aprĂšs les mĂ©decins, depuis ses opĂ©rations, Noufou est moins introverti qu’avant. Il a commencĂ© Ă  parler de son envie de devenir mĂ©canicien de motocyclettes.

MalgrĂ© tout, ces enfants continuent souvent Ă  faire l’objet de discrimination, mĂȘme aprĂšs leurs opĂ©rations reconstructives.

« Quoi que tu fasses, tu ne seras jamais comme nous », sont les propos que les camarades de classe de Zougmore Assame, 15 ans, lui scandent, dans son Ă©cole de l’est du Burkina Faso.

MalgrĂ© tout le jeune Zougmore Assame dit vouloir devenir instituteur, et ce en dĂ©pit du fait que mĂȘme ses propres professeurs l’avaient rejetĂ©, le forçant Ă  s’asseoir tout seul Ă  l’avant de la classe, a expliquĂ© le personnel de Sentinelles.

De nombreuses familles cachent également leurs enfants malades à la maison, pensant que cette maladie est un chùtiment divin, a expliqué M. Joly.

« Pendant que leurs enfants meurent, terrifiés, souffrant le martyre, ils les considÚrent comme des démons », a-t-il dit.

La solution, pour M. Joly, consiste Ă  aider les gens ordinaires des villages et des villes rurales Ă  reconnaĂźtre la maladie pour ce qu’elle est et Ă  amener leurs enfants se faire traiter s’ils prĂ©sentent des symptĂŽmes, et ce le plus rapidement possible, avant que leur Ă©tat ne s’aggrave.

L’organisation s’efforce d’éduquer les populations, mais en fin de compte, tant que la malnutrition et la pauvretĂ© seront endĂ©miques au Burkina Faso, le noma continuera d’exister.

« Il ne sert Ă  rien de parler d’une guerre contre le noma », a dit M. Joly. « C’est contre la pauvretĂ© qu’il faut lutter ».

pdf: http://www.irinnews.org/Report.aspx?ReportId=72959

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